« La santé des ados dans le rouge »

Une dizaine d’associations* publient un manifeste réclamant une politique de santé en faveur des jeunes, qui fait gravement défaut. Explications du pédiatre Paul Jacquin.

Ingrid Merckx  • 16 février 2012 abonné·es

Pédiatre à la Maison des adolescents-Robert-Debré, Paul Jacquin alerte sur l’insuffisance de structures de prévention et de soin pour les adolescents. Il dénonce la pathologisation des problèmes sociaux et se prononce pour des dispositifs généralistes plutôt que spécialisés.

Comment vous êtes-vous retrouvé à la tête de cette mobilisation ?

Paul Jacquin ≥ Je suis président de la Société française pour la santé de l’adolescent (SFSA). Nous nous mobilisons avec une dizaine d’associations médicales, sociales et éducatives dans un mouvement pluridisciplinaire autour de la santé de l’adolescent (1). Les restrictions budgétaires ont entraîné des fermetures. On voit émerger des projets du type « Maisons des ados », mais les soins et la prévention (la santé scolaire) sont dans le rouge !

Le seul service dédié à la santé des adolescents en région parisienne, au Kremlin-Bicêtre, référence unique puisqu’il associe psychologique et somatique, est menacé. Les files d’attente dans les services de ­psychiatrie infanto-juvénile sont infinies. Nous publions un manifeste réclamant le renforcement des structures. L’alerte est structurelle mais aussi sociétale : la jeunesse n’est appréhendée que comme risque ou danger, stigmatisée dans la délinquance. Les politiques de santé glissent vers le dépistage précoce et la surspécialisation autour de symptômes et de troubles. C’est la tendance actuelle à la pathologisation des problèmes sociaux et des risques liés à l’adolescence.

Ce manifeste répond-il à une urgence ou est-ce un mouvement de fond ?

L’urgence n’est pas tant sanitaire que sociale, du fait d’une précarisation de l’ensemble de la jeunesse. Ce manifeste est motivé par la réduction des moyens et par des problèmes de fond. Nous en appelons aux candidats à la présidentielle. Des clivages apparaissent : François Hollande n’a-t-il pas dit que la ­jeunesse était l’espoir du pays ? Mais, même à gauche, on observe une tendance à morceler les soins en fonction des symptômes : consultation pour décrocheur scolaire, consultation cannabis… Nous défendons au contraire des dispositifs généralistes pour tous les adolescents. Les jeunes visés ne vont pas à ces consultations spécialisées, et seuls les approches globales permettent de toucher les plus en difficulté, tout en faisant de la prévention avec les autres. La prise en charge de l’obésité n’est efficace que si tout le monde s’y met : médecins, communauté éducative, famille…

Pourquoi une politique de santé spécifique ?

L’adolescence est une période de transition où tout se met en place entre la dépendance aux parents et l’autonomie. On ne peut s’occuper d’adolescents sans intégrer la famille, tout en respectant la confidentialité. La frontière entre les expériences nouvelles, les conduites d’essais, et la prise de risque débouchant sur une mise en danger est ténue. De plus, prendre soin de sa santé n’est a priori pas une préoccupation adolescente. Cela dit, on s’aperçoit que, si on passe par un examen clinique, qu’on évoque des questions liées à la sexualité, à l’image corporelle, à l’acné, au tabac, au sommeil, ça les intéresse ! Certes, plus les filles que les garçons, car plus habituées à prendre soin d’elles, à formuler des plaintes. Les adolescents ne se « soignent » pas mais ils sont très préoccupés par leur corps. La santé n’est pas taboue, mais il faut l’intégrer de façon globale dans l’ensemble des aspects de la vie du jeune.

Comment expliquez-vous le manque d’intérêt pour la santé des jeunes en dehors de la sexualité et de la drogue ?

Les jeunes ont toujours dérouté les générations qui les précèdent. Ils sont pourtant l’avenir de notre société, tout en étant aussi le cœur de cible en termes de consommation. Ils embarrassent parce qu’on ne sait pas bien comment régler les problèmes. Exemple : on ne parvient pas à éradiquer les risques de grossesse précoce, car il ne s’agit pas que d’un risque, mais aussi d’une expérimentation adolescente. L’information et la prévention ne peuvent pas tout, cela donne envie de baisser les bras…

Pourquoi un tel manque de structures adaptées aux jeunes adultes en France, notamment dans les domaines de la psychiatrie et des troubles du comportement ?
Passé 16-18 ans, toute une tranche de la jeunesse disparaît des radars. La santé universitaire est encore plus pauvre que la santé scolaire. Les Maisons des ados ne sont pas des centres d’accueil, et l’on manque de place dans de tels centres, notamment pour accueillir des jeunes qui ne rentrent dans aucune case ou qui cumulent ­plusieurs problèmes comme un diabète, des difficultés sociales et des troubles du comportement. Sans pathologie unique identifiée, ils ne sont pas rentables du point de vue de la T2A (tarification à l’activité) dans les hôpitaux. Il faut absolument sortir d’une médecine monosymptomatique pour renforcer et développer des prises en charge globales adaptées aux jeunes.

Société Santé
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