Le triple non des collectivités

Plusieurs agglomérations ont décidé d’interrompre leurs contrats avec les agences de notation. Elles doivent trouver de nouvelles sources de financement pour éviter de tailler dans les services publics.

Thierry Brun  • 2 février 2012 abonné·es

Un vent de fronde des collectivités locales souffle contre les agences de notation. Ce qu’exprime Magali Giovannangeli, présidente PCF de la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile : « Nous n’avons pas besoin de ces gendarmes du libéralisme. L’argent doit être utilisé pour un développement social et économique centré sur la solidarité, la justice sociale, les services publics. » Fin décembre 2011, la collectivité a mis fin à son contrat avec l’agence de notation Fitch Ratings, économisant « 50 000 euros par an » .

Le mouvement a été lancé en 2010 par la Communauté urbaine de Lille Métropole, qui a dénoncé le contrat qui la liait à l’agence de notation Standard & Poor’s, un contrat « coûteux » de « 48 000 euros en 2008 », selon Dominique Baert, vice-président PS chargé des finances. Le député maire estimait que les agences de notation, « non seulement n’ont joué aucun rôle d’alerte dans la crise financière, mais en ont amplifié les effets, s’attaquant aux États » . Il ajoute que « la communauté urbaine a exclusivement recours à l’emprunt bancaire avec des établissements qui conduisent leurs propres analyses financières. Et la mission de contrôle est assurée par la chambre régionale des comptes » , laquelle a d’ailleurs épinglé en 2011 la communauté pour la gestion de sa dette…

« Avec Fitch, il s’agissait toujours de réduire les dépenses de fonctionnement, ce qui veut dire une réduction des services publics de la ville, qui sont pourtant reconnus, comme dans beaucoup d’autres villes, pour leur efficacité et la qualité des services rendus à la population. C’est le citoyen qui en pâtit » , explique Gilbert Payan, directeur des services financiers de la ville d’Aubagne. Ces dernières années, l’agence Fitch Ratings avait attribué une note « BBB- » à la commune, alors que celle-ci, dans le même temps, avait lancé des ateliers participatifs autour du budget de la commune.

Ce mouvement de fronde, limité à quelques cas parmi le petit nombre de collectivités ayant fait appel à une agence de notation, ne doit pas masquer l’enjeu principal : comment trouver des moyens de financement accessibles ? « Cette année, les collectivités tentent d’aller directement sur les marchés, mais ceux-ci ne sont accessibles qu’à une vingtaine de grosses collectivités ayant la capacité de respecter un certain nombre de règles pour ne pas payer trop chers leurs emprunts » , explique Olivier Landel, délégué général de l’Association des communautés urbaines de France (Acuf).

La grogne de nombre de collectivités locales s’explique aussi par le fait qu’elles paieront la fin du triple A attribué à la dette publique française. Après la crise financière, les agences de notation n’ont pas hésité à souffler sur les braises : Moody’s annonçait dès 2009 que les finances des collectivités locales se dégraderaient, particulièrement celles des Régions, en raison de la suppression de la taxe professionnelle. Résultat : les banques se sont retirées du financement de collectivités qui ont pourtant un poids croissant dans l’économie, assumant une grande part des politiques publiques en matière sociale, d’éducation et de formation, d’équipement, d’environnement et de transport. Leurs dépenses représentent 11,3 % du PIB, elles assurent 73 % de l’investissement public.

« Limitées dans leur autonomie, s’aidant plus faiblement entre elles que leurs cousines allemandes, heurtées par des transferts de compétences mal compensés et une relation avec l’État sans cesse bouleversée, les collectivités ont été les victimes collatérales d’une finance débridée. Elles ne disposent guère que du levier de la dette pour assumer leurs interventions. Mais pour combien de temps ? » , s’interroge Jean-Marc Pasquet, conseiller régional d’Île-de-France (EELV), vice-président de la commission des Finances (dans une tribune du Monde du 18 janvier).

Autre coup dur : la chute de la banque franco-belge Dexia, premier prêteur des collectivités locales. Son rôle dans la finance spéculative est montré du doigt : « Dexia a été une dérive complète. Il faut retourner à un système bancaire plus orienté vers le financement du service public, avec des financements sécurisés, pour qu’on ne dépende pas totalement des marchés financiers » , réagit Gilbert Payan. En cours de démantèlement, Dexia laissera la place cette année à une future banque des collectivités, selon le vœu du gouvernement. Mais la dégradation financière des collectivités les a poussées à accélérer la création d’une agence de financement des collectivités locales, qui sera effective en 2013. «  On a bien vu en 2008 que, si l’on avait eu une agence, on aurait trouvé des financements pas chers, comme les Suédois, les Finlandais… » , se lamente Olivier Landel, également délégué général de l’Association d’études pour l’agence de financement des collectivités locales.

La nouvelle agence pourra « regrouper les besoins de toutes les collectivités locales françaises à hauteur, au maximum, de la moitié de ces besoins. Le choix politique est de répondre à un besoin financier qui soit exclusivement dédié à leurs investissements » . Faudra-t-il en passer par les agences de notation ? « Il y aura une surveillance de la situation financière des collectivités membres, certes sur des critères purement économiques. Mais nous rendrons transparent l’ensemble des critères. Une collectivité locale pourra estimer à l’avance sa capacité à devenir cliente de l’agence de financement des collectivités locales. » Les collectivités n’auront donc plus à payer pour bénéficier d’une analyse financière.

En attendant, l’Acuf a proposé aux associations d’élus des grandes villes, des départements et des régions, d’unir leurs forces pour emprunter à moindre coût : « Seule l’émission obligataire sera notée » , indique Olivier Landel, dont l’association tente de regrouper les investisseurs institutionnels habitués des collectivités locales, notamment les mutuelles de fonctionnaires et d’élus territoriaux.

Économie
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