Les Nuits de l’Alligator : Un festival aux sources du blues
Événement itinérant, les Nuits de l’Alligator défendent les nouvelles musiques inspirées de la musique noire, folk et country.
dans l’hebdo N° 1189 Acheter ce numéro
Le blues, musique du moment… L’affirmation peut faire sourire ceux qui pensent que le genre n’a pas survécu à la disparition de la plupart de ses grandes figures historiques (John Lee Hooker est décédé en 2001) ou qu’il n’existe plus que sous une forme aseptisée dépossédée de son esprit roots de départ.
En réalité, depuis que Fat Possum, un petit label de disques d’Oxford, dans le Mississippi, s’est mis à sortir, au début des années 1990, des enregistrements de vieux bluesmen inconnus comme R. L. Burnside ou T-Model Ford, et les a fait adopter par les amateurs de rock indie, l’intérêt pour tout ce qui sonne de façon authentique n’a cessé de croître.
Aujourd’hui, nombreux sont les jeunes artistes qui s’inspirent du blues rural des origines ou qui se réclament de la country des années 1930 ou 1940 et du folk, deux musiques d’essence traditionnelle qui connaissent actuellement un surprenant engouement. Retour aux sources qui ne se cantonne pas aux pays anglo-saxons et touche aussi bien les pays nordiques, l’Espagne ou le Portugal (avec l’excellent Legendary Tiger Man), créant ainsi un agréable parfum de mélanges multiculturels.
Des groupes comme Moriarty ou Herman Dune, par exemple, bien que parisiens, sont composés de musiciens américains et français pour le premier, de Français et de Scandinaves pour le second. La musique la plus intéressante du moment, tout du moins celle qui dégage le plus de vie, descendrait donc en droite ligne du delta du Mississippi, des Appalaches ou des clubs folk du Greenwich Village des années 1960, sans être passée par les cases pop, électro ou hip-hop ?
C’est l’évidence quand on constate l’abondance, et bien souvent la qualité, de sa production discographique. Ceux qui l’alimentent ne se contentent pas de copier Johnny Cash (qui depuis Walk The Line , le biopic avec Joaquin Phoenix, est devenu une sorte d’« idole des jeunes »), Neil Young ou les bluesmen, ils redonnent vie aux vieux styles en leur réinjectant de la fraîcheur, de l’enthousiasme et quelquefois (comme c’est le cas pour Herman Dune) beaucoup de personnalité. Cette effervescence créative a bien sûr ses relais (labels de disques, disquaires spécialisés, salles de concerts).
En France, les Nuits de l’Alligator sont sûrement l’une des plus intéressantes vitrines de cette mouvance et des différents courants qui l’animent.
Créé en 2006, ce festival est de conception assez unique, puisqu’il est itinérant et voyage dans l’Hexagone pendant une quinzaine de jours (du 8 au 25 février pour l’édition 2012). « Cette année, nous allons nous arrêter dans 24 villes , explique Jean-Christophe Aplincourt, l’un de ses trois principaux organisateurs. Notre volonté, c’est de mettre sur un même pied d’égalité les métropoles régionales et des villes plus petites. D’aller là où les grosses tournées ne passent pas habituellement. C’est d’ailleurs parfois dans des villes moyennes que nous remplissons le mieux les salles. »
L’an passé, les Nuits de l’Alligator ont attiré, dans leur totalité et sur l’ensemble du territoire, environ 6 000 spectateurs : preuve d’une certaine réussite, surtout si l’on tient compte des optiques courageuses et absolument pas commerciales de leur programmation.
Jamais de grosse star à l’affiche, toujours des « coups de cœur » des organisateurs. Les artistes qui s’y produisent semblent parfois venir d’horizons assez différents (cette année, on entendra aussi bien les Français tendance « folk rock » de Coming Soon que le « one man band » britannique à la guitare saturée Lewis Floyd Henry).
Pourtant, les choix obéissent à une vraie cohérence. « Notre idée directrice, c’est de faire venir des musiciens héritiers de l’esprit du blues , précise Jean-Christophe Aplincourt. Ceux qui interprètent cette musique non pas de façon policée ou scolaire, mais qui sont plutôt intéressés par la notion “brut de décoffrage” qui lui est historiquement liée. »
La continuation la plus brute du blues, c’est-à-dire le rock’n’roll, sera cette année représentée par Hanni El Khatib, Californien d’origine mi-palestinienne, mi-philippine dont le premier album, Will The Guns Come Out, qui rappelle par moments ceux des Cramps, a reçu d’excellentes critiques (cf. Politis n° 1180, du 8 décembre) et dont les précédentes prestations dans notre pays (notamment aux Inrockuptibles, autre festival itinérant) ont enthousiasmé le public.
Sa venue est rassurante pour les organisateurs. « Les fois où nous avons uniquement fait jouer de parfaits inconnus, même si artistiquement cela tenait toujours la route, nous avons quand même eu beaucoup de mal à attirer les spectateurs. » Sans sponsors, sans aide de gros médias, c’est uniquement en s’appuyant sur des réseaux alternatifs, ceux des radios associatives de la Ferarock, par exemple, que l’initiative peut être connue.
Quinze artistes, solos ou groupes, vont participer à cette septième édition. Parmi eux, The War on Drugs, un quatuor de Philadelphie (qui se produira lors du concert parisien du 21 février à La Maroquinerie), aux chansons évoquant à la fois Bob Dylan, Bruce Springsteen, les Pixies et le groupe allemand Can. Un mélange étonnant qui colle avec l’esprit à la fois révérencieux et aventureux des Nuits de l’alligator, dont la bonne réputation a aujourd’hui dépassé nos frontières.
« Si autant de groupes anglais ou américains acceptent de tourner dans notre pays à cette période de l’année, c’est qu’ils apprécient l’écrin dans lequel on les présente, et parce qu’ils savent qu’ils seront très bien traités, précise Jean-Christophe Aplincourt. Il y a désormais ici un très bon réseau de salles de concert, et cela séduit les musiciens qui viennent de l’étranger. »
Il faut dire qu’une bonne partie de ceux qui sont programmés aux Nuits de l’Alligator ont plutôt l’habitude de jouer dans des clubs minuscules, comme le faisaient les premiers bluesmen…
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