Mélenchon face au « vote utile »
Bonne dynamique de la campagne de son candidat et fidélisation de ses électeurs : le Front de gauche ne craint pas la concurrence.
dans l’hebdo N° 1188 Acheter ce numéro
Jusqu’où Jean-Luc Mélenchon emmènera-t-il le Front de gauche ? Parti très tôt en campagne – il a déclaré sa candidature le 21 janvier 2011 –, le coprésident du Parti de gauche a d’abord dû convaincre les adhérents du Parti communiste, qui l’ont désigné le 19 juin à l’issue d’une longue procédure interne.
Parallèlement, le député européen s’est efforcé de rassembler ce qu’il appelle « l’autre gauche » . Un objectif qui a été en grande partie atteint dès l’été puisque à son premier meeting de campagne, place Stalingrad, à Paris, le Front de gauche élargi comptait déjà six formations.
À la rentrée, certains craignaient que sa candidature ne tombe dans l’indifférence. La primaire au PS et les polémiques autour de l’accord PS-EELV auraient pu effectivement le marginaliser. Déjouant ces pronostics pessimistes, Jean-Luc Mélenchon est parvenu à ne pas disparaître des écrans radars, notamment en invitant la gauche à débattre du programme du Front de gauche.
On se souvient du défilé des candidats socialistes à la Fête de l’Humanité. Mais c’est surtout dans les assemblées citoyennes organisées localement que les propositions de ce « programme partagé » , intitulé l’Humain d’abord – un succès de librairie vendu à plus de 300 000 exemplaires –, sont popularisées et discutées. Favorisant à la fois la mobilisation des militants de toutes les organisations du Front de gauche, plus enclins à défendre des idées qu’à jouer les supporters d’un guide suprême, et la diffusion par capillarité dans le corps social d’un discours commun.
Ce travail de fourmi commence à payer. Des syndicalistes et des militants associatifs, qui étaient encore réticents, récemment, à l’idée de se porter sur un terrain politique, manifestent intérêt et soutien. L’équipe de campagne constituée autour du candidat note aussi la présence dans ses meetings d’un public nouveau. « Nous touchons pour la première fois la part de notre peuple qui ne participait plus à un jeu politique devenu pour elle insignifiant » , résume François Delapierre.
Les sondages s’en ressentent. Mi-janvier, Jean-Luc Mélenchon gagnait 7 points d’opinions favorables dans le baromètre Ipsos-Le Point, à 37 %. Surtout, il devançait Marine Le Pen chez les ouvriers, à 43 % de bonnes opinions (+ 13 points) contre 41 % pour la candidate FN (- 1), avec laquelle il a décidé d’engager un combat frontal.
Dans une autre enquête d’opinion, réalisée par BVA les 13 et 14 janvier, 23 % des personnes interrogées déclaraient pouvoir voter pour lui, révélant un potentiel de vote important. À y regarder de près, toutefois, seulement 7 % assuraient vouloir voter « certainement » pour lui, 16 % « probablement » .
Cette forte proportion d’électeurs encore hésitants ne risque-t-elle pas de céder aux sirènes du « vote utile » que le Parti socialiste et ses relais ne manqueront pas de susciter à l’approche du premier tour ? « Nous ne sommes pas angoissés par l’idée d’être broyés par le vote utile, comme cela a pu arriver lors des élections précédentes » , assure François Delapierre.
Pour justifier son optimisme, le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon invoque principalement deux raisons politiques. Il estime que la situation n’est pas comparable aux élections précédentes : « En 2007, le nombre des candidats de l’autre gauche les rendait insignifiants aux yeux des électeurs. Ce n’est pas le cas cette année, où le Front de gauche rassemble la quasi-totalité de celle-ci. » Ensuite, poursuit-il, l’argument socialiste pour le « vote utile » repose sur la crainte de l’élimination de la gauche au premier tour ; or, si le FN est effectivement à un haut niveau, « le scénario le plus crédible est plutôt celui d’une élimination de la droite » , plaide-t-il.
Moins catégorique toutefois, Christian Picquet, membre lui aussi de l’équipe de campagne, n’exclut pas une déperdition. « La détestation de Nicolas Sarkozy est telle, surtout après l’intervention de dimanche soir, qu’une partie de ceux qui sont séduits par notre campagne » pourraient bien être tentés de voter pour le candidat le plus à même de le battre. Le porte-parole de Gauche unitaire veut néanmoins croire que le Front de gauche a désormais atteint une taille suffisante, qui lui permet de « fidéliser une large partie » de ces électeurs.
Le fait qu’il soit parvenu à s’imposer comme la deuxième composante politique de la gauche et qu’il ait été capable de polariser politiquement le débat, « ce qui n’a pas été sans effets sur le discours de François Hollande au Bourget » , constitue selon lui « des remparts contre la tentation du moindre mal » .
Pour résister au « vote utile », le Front de gauche table également sur les convictions des militants qui le rejoignent. Ils ont passé cinq ans à lutter contre Nicolas Sarkozy, pour défendre les hôpitaux, les sans-papiers ou d’autres causes, « en prenant parfois des risques » , et ils ne sont pas prêts à renoncer à leur combat pour voter Hollande, nous explique-t-on.
Quant à la grande masse des classes populaires et des « jetés du système » , François Delapierre assure qu’elle n’abandonnera pas la « représentation politique » qu’elle « vient de retrouver » .