Nucléaire : bataille des comptes

Un rapport de la Cour des comptes pointe les incertitudes des chiffres fournis par EDF. Et dément à l’avance l’étude « Énergies 2050 » d’Éric Besson, qui prône la poursuite du tout-nucléaire.

Claude-Marie Vadrot  • 9 février 2012 abonné·es

Ce qui frappe dans le rapport de 438 pages de la Cour des comptes sur les coûts de la filière nucléaire française, commandé en mai 2011 par le Premier ministre, contre l’avis du président de la République, et rendu public le 31 janvier, ce sont les termes qui reviennent comme une rengaine : « incertitude », « chiffrage incertain », « estimation prudente », « marges d’incertitude » , qui renvoient aux approximations d’EDF et d’Areva.

La Cour des comptes évalue le coût du nucléaire depuis les années 1960 à 188 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter les investissements difficiles à chiffrer sur les réacteurs actuels et quarante milliards d’investissements pour la production du combustible. Le rapport, au passage, estime à 60 380 personnes les effectifs d’EDF en personnel, dont 33 000 travaillant directement ou indirectement dans le nucléaire. On est bien loin du « million d’emplois » qui serait sacrifié en cas de sortie du nucléaire, chiffre avancé par le PDG d’EDF Henri Proglio.

Un autre rapport, rédigé pour le compte d’Areva en mai 2011 par le bureau d’études américain PricewaterhouseCoopers, estimait pour sa part que les emplois liés au nucléaire, intérimaires compris, représentaient environ 120 000 personnes.

L’opacité des chiffres fournis par EDF est telle que la Cour des comptes marque sans cesse ses distances en précisant de nombreuses fois « source EDF » . Ainsi, pour le coût estimé du démantèlement des douze anciennes installations à l’arrêt (4 milliards), le rapport précise : « Ce montant augmentera probablement en raison de la révision des devis qui sera menée en 2012. L’analyse de ces devis depuis 2001 met en évidence des évolutions contrastées et illustre les conséquences significatives que peuvent avoir les aléas et ­incertitudes industriels et administratifs sur le coût final. »

Le rapport ajoute : « S’agissant du démantèlement du parc en exploitation , la Cour n’est pas en mesure de valider le montant des charges (18,4 milliards) en raison de son caractère forfaitaire et de l’absence d’études approfondies déjà notée par la Cour dans son rapport de 2005 » , concluant que « la dispersion des résultats obtenus confirme la grande incertitude qui règne sur ce sujet ». La Grande-Bretagne, elle, a évalué le démantèlement de ses 35 réacteurs (la France en compte 58) à 103 milliards d’euros.

Le rapport se penche ensuite longuement sur la question des déchets et « le coût incertain du stockage géologique profond » . Concernant la gestion des déchets issus d’un démantèlement, il note qu’elle est estimée par EDF à 79,3 milliards. S’interrogeant sur la fiabilité de ce chiffre, la Cour fait remarquer que seuls 38,4 milliards ont été provisionnés par l’entreprise, et que « les dépenses de démantèlement ne peuvent être connues avec certitude » . L’exemple de la petite centrale bretonne de Brennilis (70 MW) est intéressant : son démantèlement a déjà coûté un demi-milliard alors que le bâtiment contenant le réacteur est encore intact. La Cour rappelle aussi que l’EPR a été estimé par EDF en décembre 2008 à 4 milliards d’euros, avant de passer à 6 milliards en juillet 2011.

Évoquant la manipulation qui a permis à EDF de gager les actifs de sa filiale de distribution de l’électricité (RTE) pour faire face aux coûts du démantèlement, le rapport écrit qu’ « EDF n’exclut pas de vendre les réseaux de transport d’électricité, ce qui n’est pas possible en l’état de la législation » . Allusion au fait que le réseau électrique pourrait être privatisé à terme…

Ce travail confirme un autre rapport de la Cour des comptes sur le démantèlement et le stockage des déchets, qui avait été publié en 2005 et dont le pouvoir n’avait tenu aucun compte. Par ailleurs, il dément à l’avance le rapport Énergies 2050, demandé par Éric Besson, et qui sera rendu public le 13 février, étude dont on sait qu’elle insistera sans nuance sur la « nécessaire poursuite du programme nucléaire » , au motif qu’il ne coûte pas cher et que, « plus que les problèmes environnementaux, le citoyen français est davantage concerné par son pouvoir d’achat ».

Ce texte vise à enterrer les énergies renouvelables avec la démagogie qui accompagne le développement du nucléaire depuis le début des années 1970 en France. Raison pour laquelle les associations et des spécialistes tels que Benjamin Dessus et Bernard Laponche ont refusé d’y participer. Le vice-président de la commission Besson, Claude Mandil, fait partie des polytechniciens et ingénieurs des Mines qui, depuis des décennies, font pression pour imposer férocement le tout-nucléaire.

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