« Zebda est comme une tribu »
« Second Tour », album à pic des Toulousains d’origine incontrôlable. Entretien avec Mustapha Amokrane.
dans l’hebdo N° 1188 Acheter ce numéro
Zebda s’est reformé après six ans de pause pour préparer un nouvel album, sorti le 23 janvier sous un titre explicite : Second Tour. Après une trentaine de dates cet automne, leur « premier tour » , ils redémarrent leur tournée le 1er mars pour une bonne soixantaine de concerts jusqu’à début août. De quoi couvrir plus que la campagne électorale…
Ce titre, Second Tour, c’est plus qu’une coïncidence ?
Mustapha Amokrane : Quand on a reformé Zebda en 2008, très heureux d’être encore capables de prendre ce genre de décision, on a terminé nos projets individuels et on s’est mis à ce nouvel album. On s’est dit qu’il y aurait les élections en 2012 et que ce serait vraiment débile d’arriver après. D’autant qu’on avait envie de donner toute sa place à une parole qu’on oppose ouvertement à une autre, nauséabonde et omniprésente… C’est donc un hasard sans en être un. On a voulu assumer complètement d’arriver à ce moment-là.
Quelle est cette parole que vous portez ?
Notre ambition, c’est de dire à quel point notre histoire, qui s’inscrit dans le prolongement de l’histoire de l’immigration, est la clé de pas mal de problèmes. C’est là que se pratique le hold-up électoral depuis des années. Avec Zebda et le festival Origines contrôlées, on a envie de donner une vision de l’immigration qui ne soit pas négative. Par exemple, on aime bien dire qu’on est des « héritiers » de l’immigration, plutôt qu’« issus de ». Nous travaillons sur le langage, c’est notre rôle.
Cette parole est-elle difficile à faire entendre aujourd’hui ?
En vingt-cinq ans de parcours, on a eu le privilège de la faire entendre, mais il y a eu des périodes plus faciles ! Un idéal de société plus généreuse, plus solidaire, plus multiculturelle n’est pas la vision qui domine aujourd’hui. D’où cette chance d’avoir ce porte-voix formidable qu’est Zebda et que nous sommes très heureux de retrouver pour ces raisons-là aussi, pas uniquement pour le plaisir de faire de la musique ensemble.
Partagez-vous le constat d’échec dans les quartiers populaires ?
Il y a une démission et un abandon de la dynamique associative dans les quartiers populaires. Il suffit de considérer les baisses de subventions : des associations qui faisaient du soutien scolaire et de l’accompagnement avec quinze ou vingt salariés n’en comptent plus que trois aujourd’hui ! Pour autant, ce ne sont pas ces dynamiques qui ont échoué mais l’idéal républicain. Nous l’avons défendu, prenant le risque d’être dans le discours… Or, ce discours ne tient plus dans les quartiers où les gens n’ont plus accès aux valeurs de la République. Et vouloir faire disparaître les femmes voilées de l’espace public, c’est une dérive islamophobe.
On a un sentiment d’amertume, voire de trahison, vis-à-vis de la gauche. Au moment où elle aurait pu abroger la double peine ou régulariser les sans-papiers, envoyer des signes positifs aux héritiers de l’immigration, elle ne l’a pas fait.
Nous, entre la République et les exclus, on choisit les exclus. On n’a pas vocation à se substituer au politique, mais on s’y sent condamnés parce qu’on ne fait pas de différence entre notre rôle d’artiste et notre vocation de citoyens. Mais on n’est pas là pour donner des leçons…
Votre musique a-t-elle une résonance dans les quartiers ?
On ne se sent pas la voix des banlieues : les gens y vivent des réalités que nous ne vivons plus, et qui sont plus difficiles qu’avant. On espère que la parole viendra directement des quartiers. Nous, à un moment, on a pu s’en faire l’écho parce qu’on en venait. La seule fois où on a réussi à toucher les quartiers, c’est quand on a fait un gros tube : « Tomber la chemise ». En fait, ceux qu’on a touchés dans les quartiers avaient le même profil que nous, c’est-à-dire pas forcément en échec scolaire retentissant. Finalement, on s’est plutôt adressés à des gens qui ne vivaient pas dans les quartiers. Cela s’est fait presque malgré nous. Cela ne nous empêche pas de dire qu’on sait de quoi on parle.
Le sarkozysme semble vous avoir requinqués…
Depuis le début de notre histoire, nous sommes portés par des dynamiques collectives qui existent, même si elles sont peu visibles. Et on croise partout des gens qui semblent plus réactifs qu’avant Sarkozy. Certains sont désespérés aussi, bien sûr. Nous aussi, cela nous arrive. Mais en tant qu’artistes, jamais !
C’est important, un projet festif ?
Oui, parce que c’est un festif sublimé, ce n’est pas la fête à neuneu non plus…
Dans tous les mouvements de résistance, il y a des moments de fête. On a envie de montrer que la part conviviale, chaleureuse, affective est essentielle pour nous. On a toujours vécu comme une tribu. C’est ce qui nous a protégés de l’adversité. Et on a toujours eu ce besoin de rire. Il s’agit d’être un peu dans l’espoir quand même ! C’est une forme d’agressivité positive !
Quelle est votre mixture cette fois ?
La même : on est dans la pâte Zebda à 200 % ! On retrouve cette énergie « clashienne » qui est la nôtre, flagrante ou contenue, plutôt rock-reggae, avec un peu de hip-hop dans la manière de poser les voix et une certaine orientalité avec les samples…
On fait de la chanson française avec une poésie sociale qui laisse de la place au texte sans qu’il occupe toute la scène. On passe par plusieurs styles : le métissage n’est pas forcément ce truc baba cool et creux qu’on veut nous faire avaler, une sorte de vivre-ensemble angélique, c’est aussi de la confrontation.
Y a-t-il un « modèle économique Zebda » ?
On a toujours défendu l’idée que Zebda n’était pas seulement un groupe de musique mais un collectif qui fait de la musique. Depuis vingt ans, la musique nous apporte la liberté de réflexion et de parole. Ce n’est pas Zebda qui a créé la dynamique associative, mais l’inverse. Sans Zebda, on serait devenus éducateurs ou animateurs dans le monde associatif. On n’aurait pas connu la même autonomie…
Pourquoi toujours Barclay ?
On est chez Barclay depuis 1994. Ce n’est pas seulement une maison de disques, avec des « monstres en haut-de-forme », mais des professionnels qu’on connaît depuis longtemps. Il y a le rapport humain. La force de ce genre de maison, c’est de nous donner les moyens de travailler sur des albums et de profiter d’une visibilité dont on a besoin. À aucun moment elle n’est intervenue dans la manière dont on voulait écrire notre histoire. Ils nous ont toujours laissé une liberté totale.