À contre-courant / Sarkozy veut-il vraiment taxer les expatriés fiscaux ?
dans l’hebdo N° 1195 Acheter ce numéro
À l’inverse d’un système d’imposition des revenus fondé sur le principe de « résidence », dans lequel un contribuable, quelle que soit sa nationalité, déclare ses impôts là où il réside, un système appuyé sur la « nationalité » revient, en théorie, à imposer un contribuable sur ses revenus mondiaux dans son pays de nationalité, quel que soit son pays de résidence. Cela annule théoriquement l’intérêt d’une expatriation « fiscale » (en pratique, le jeu des conventions fiscales atténue les différences entre les deux dispositifs). D’où l’idée de taxer les expatriés fiscaux, invoquée à gauche et désormais à droite par Nicolas Sarkozy. Ce consensus n’est toutefois qu’apparent car la proposition de Nicolas Sarkozy est plus restrictive : elle ne porte que sur les revenus du capital et ne concerne que les contribuables qui se sont expatriés pour des raisons fiscales.
Nonobstant le fait qu’un passage à un tel système, pour être efficace, doit s’accompagner de la renégociation de toutes les conventions fiscales (plus de 150), cette proposition se heurte à plusieurs obstacles. Il faut tout d’abord préciser la notion d’expatrié fiscal : sans définition distinguant les expatriations « traditionnelles » (pour des raisons personnelles ou professionnelles) des expatriations purement « fiscales », la mesure est inapplicable. Une telle définition, délicate à élaborer, n’écarte en outre pas tout danger de contentieux. On imagine ce que pourraient avancer les expatriés en Suisse qui, pour échapper à cette mesure, expliqueraient sans rire aux agents du fisc qu’ils ne sont en rien des « expatriés fiscaux » car ils ont choisi la Suisse pour la beauté de ses montagnes, donc pour des motifs personnels qui les excluent des motivations « fiscales »…
Admettons cependant que ces conditions juridiques soient remplies. Il faut alors examiner les conditions d’application de la mesure. Pour calculer l’impôt qui serait dû en France par un Français résidant à l’étranger, l’administration fiscale doit être informée des revenus perçus par un expatrié de nationalité française. On peut certes tabler sur le sens civique de ceux qui ont choisi de quitter la France pour des raisons fiscales pour déclarer spontanément leurs revenus mondiaux. Il faut aussi (surtout !) faire en sorte que les services fiscaux puissent obtenir le détail de ces revenus afin d’effectuer un recoupement permettant de détecter les défaillants, de les relancer et, le cas échéant, de les contrôler. Un tel système suppose un échange d’informations performant qui, aujourd’hui, n’existe pas. Pour effectuer ces recoupements, il faut alors utiliser les conventions fiscales. Dans la pratique, celles-ci sont activées par les agents de la Direction générale des finances publiques. Mais celle-ci a perdu 25 000 emplois en dix ans. Et, depuis 2007, les suppressions d’emplois se sont accélérées (15 000, soit 2 départs à la retraite sur 3 non remplacés) au point de mettre les missions fiscales (la gestion de l’impôt, le contrôle fiscal, etc.) en péril. Nicolas Sarkozy souhaite poursuivre dans cette voie de repli de l’État. Comment croire dans ces conditions que sa proposition puisse être efficace ?