À Villepinte, Sarkozy fustige l’immigration et le libre-échange européens
Devant 30 000 à 40 000 personnes, Nicolas Sarkozy a surjoué le rôle du candidat protecteur, incarnation de l’intérêt général. Tout en continuant à draguer les voix du Front national et à vilipender le libéralisme européen qu’il a contribué à bâtir. Reportage.
C’est à croire que cela n’arrivera jamais. Après des semaines de campagne à droite toute , Nicolas Sarkozy devait profiter du meeting de Villepinte (Seine-Saint-Denis), ce dimanche 11 mars, pour contrebraquer vers le centre, au risque de partir en tête à queue. Manque de chance, ni Jean-Louis Borloo, ni Rama Yade, les figures du Parti radical officiellement rallié à Sarkozy depuis la veille, n’ont voulu prendre le risque de venir se planter dans le décor du parc des expositions. Alors, dans le camp Sarkozy, devant 30 000 à 40 000 militants, on ressort les vieilles recettes déroulées depuis le début de la campagne : le mea culpa, la France éternelle, la crise responsable de tout, l’assistanat, la fraude sociale, la guerre contre les corps intermédiaires, etc.
Et puis, deux propositions nouvelles tout de même, dont la première s’adresse directement aux électeurs tentés par le Front national : Nicolas Sarkozy veut remettre a plat les accords de Schengen pour contrecarrer « les insuffisances de contrôle aux frontières extérieures de l’Europe » . L’autre annonce, tout à fait étonnante de la part d’un des plus zélés bâtisseurs de l’Europe néo-libérale, c’est la remise en cause du libre-échange européen avec l’instauration d’un « Buy european act », sur le modèle américain, en vertu duquel « les entreprises qui produiront en Europe bénéficieront de l’argent européen » . Réaction ravie du public, dont l’ADN UMP jaillira à d’autres occasions : si la proposition d’obliger les chômeurs à accepter la première offre d’emploi qui leur est faite est saluée par un tonnerre d’applaudissements, l’évocation d’un « deuxième plan de rénovation de nos quartiers » fait un bide absolu. Désintérêt des militants ou souvenir d’un plan Marshall des banlieues tombé aux oubliettes ?
Bien avant ce discours sans surprise, entamé en début d’après-midi pour éviter la concurrence frontale du France-Angleterre de rugby organisé peu après au Stade de France, les adhérents du parti présidentiel venus de toute la France avaient été gâtés : d’abord un conseil national exceptionnel de l’UMP, suivi d’interventions diverses, avec des pointures tels que Frédéric Nihous ou Bernadette Chirac à la tribune. Du plaisir à l’état pur pour les militants, déjà présents en nombre dès 10 heures du matin, flanqués de leurs inévitables drapeaux tricolores.
Pour Michel, 73 ans et des faux airs de Jean-Pierre Raffarin, « il était temps » que ce rassemblement géant ait lieu. « Ça va nous servir à prendre le contrepied de ce qui dit la gauche. Il y a un déséquilibre mais la presse y est pour beaucoup », estime cet adhérent UMP des Yvelines. À l’estrade, Laurent Wauquiez déroule ses classiques, sous les acclamations de la foule : « Nous défendons le travail, nous refusons l’assistanat » . Peut-être, mais c’est « une campagne qui manque de fond » , estime Mathieu, 20 ans, de la fédération UMP de l’Oise. « On croit toujours en Nicolas Sarkozy , assène François, 23 ans, physique de jeune premier. Son bilan est bon, et puis Rome ne s’est pas faite en un jour » . À l’évocation de l’après-Sarkozy, les deux militants espèrent voir arriver « du sang neuf » , soit ni Jean-François Copé, ni Alain Juppé ou François Fillon, les trois prétendants au trône. Mais on n’en est pas là et le président-candidat n’a pas encore mis fin à sa carrière : « Sarkozy est fait pour la politique » , veut croire Mathieu.
À l’heure du « rassemblement » de la grande famille UMP, de la droite populaire au Parti radical, certains militants ont du mal à se situer dans le vaste puzzle du mouvement. Entre l’aile droite du parti et son centre, « il n’y a pas tellement de grand écart, en fait » , ose François. Eric Ciotti, à la tribune, passe sur tous les écrans géants de la salle. François et Mathieu ne le reconnaissent pas. 10h40, c’est au tour de la revenante Michèle Alliot-Marie de monter sur scène. Elle est applaudie à tout rompre : c’est dire si l’heure est à l’union sacrée. Elisa, pimpante brune de 20 ans venue de la région parisienne, est sagement assise dans les premiers rangs. Elle se range plutôt du côté de la droite populaire. Sa copine Nathalie n’est pas sûre de bien s’y retrouver dans ce maelström, mais elle « trouve bien » qu’il y ait « plusieurs sensibilités à l’UMP » . Claude, 69 ans, costume impeccable et drapeau à la main, résume l’esprit du jour : « On vient pour se resouder entre militants » . Jean-François Copé prend place derrière le pupitre à cet instant. Tout le monde se lève, Claude ne voit plus rien.
13h45, Henri Guaino est le dernier à chauffer le fauteuil du patron. Il en fait des tonnes sur la France, grande et éternelle, dans une caricature vocale assez drolatique d’André Malraux. Ce n’est pas Jean Moulin mais Nicolas Sarkozy qui apparaît enfin, sur une musique de blockbuster américain.
Effet assuré, devant plusieurs dizaines de milliers de fans en transe. Après avoir gravi les marches d’une sorte de grande soucoupe blanche, le président-candidat est longuement applaudi. On connaît la suite.
De notre envoyé spécial, Xavier Frison
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