Arrêter le robinet

Toujours percutant, le « Zapping » de Canal + propose son décryptage du petit écran.

Jean-Claude Renard  • 29 mars 2012 abonné·es

Ce lundi 19 mars, après avoir repris largement la marche du Front de gauche vers la Bastille à Paris, le « Zapping » de Canal + s’achève par une observation de Mathieu Madenian, humoriste chez Drucker, décernant le prix du « pire fils de la semaine » à Louis Sarkozy. Lequel, « 15 ans, a jeté des tomates et des billes sur un gardien de la paix à ­l’Élysée. Son papa l’a traité de ­“garnement ­facétieux”… Tu as de la chance, Louis, de ne pas t’appeler Mamadou et de ne pas vivre à La Courneuve, car sinon tu aurais été traité de délinquant récidiviste et tu aurais été expulsé sur le champ » .

Le « Zapping » s’ouvre le lendemain sur Marine Le Pen au micro de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, jugeant que la ­régularisation des sans-papiers, prônée par Mélenchon, équivaut « à une submersion migratoire » . Se succèdent des images de la tuerie à Toulouse, les déclarations de Sarkozy puis celles de Hollande. Revient Marine Le Pen, à l’occasion de son meeting en Corse : « Sous prétexte de ­non-discrimination, nos enfants finissent par apprendre l’histoire de l’islam avant d’apprendre l’histoire de la chrétienté. » Tonnerre ­d’applaudissements.

Le mercredi 21 mars, le «  Zapping  » commence sur les propos d’un patient en hôpital psychiatrique, qui a « peur de se retrouver dehors parce que le monde va mal » . Puis Sarkozy de déclarer à des écoliers que le drame de Toulouse aurait pu se passer « dans [leur] école, avec le même assassin » . Dans « Ce soir ou jamais » , le philosophe Bernard Stiegler lui répond : « Sarkozy a dit des choses absurdes aux enfants, en exploitant leur angoisse, en le disant à leurs parents, qui sont des électeurs. C’est effroyable, consternant et révoltant. » Suit un extrait des Guignols. Sarkozy, Guéant et Hortefeux se recueillant en silence. « C’est vrai que ça fait du bien quand ils se taisent » , assène PPDA.

Le lendemain encore, tandis que le Sarko show continue, les Guignols mettent en scène Hortefeux et Guéant chantant de joie : « C’est un Arabe ! C’est un Arabe ! » , puis Le Pen, père et fille : « C’est pas un néonazi ! C’est pas un néonazi ! » Quelques images plus tard, Marine Le Pen poursuit : « Peut-être qu’il va falloir parler de la peur dans laquelle vit notre pays. »

Éclairé, éclairant. Le « Zapping » puise dans le quotidien de toutes les télés. Il se sert au robinet des infos, du divertissement, du documentaire, de ­l’infotainment. Il retient ce qu’il veut bien. Pour livrer chaque jour vingt-quatre heures de télévision en six minutes. Six minutes foisonnantes, ramassées par une équipe de onze zappeurs arc-boutés sur le petit écran, sous la houlette de Patrick Menais (depuis le début, en 1989). Un exercice de funambule. À la manière d’un plan de coupe dans un débat présidentiel, il propose une lecture, un décryptage implacable de la télévision, mais aussi de l’actualité. À ne pas regarder comme un bêtisier. Dans l’essentiel côtoyant le dérisoire, la frivolité succédant à l’intelligence, chaque numéro a sa hiérarchisation, ses résonances, ses enchaînements. Rien n’est innocent.

Le 16 mars, le « Zapping » mettait l’accent sur les ouvriers d’ArcelorMittal subissant les gaz lacrymogènes des CRS, puis Sarkozy leur proposant un rendez-vous au lundi suivant, et enfin Nagui déconnant dans son émission « N’oubliez pas les paroles » , goguenard, roublard. Pas de hasard dans ce montage. Ce numéro se terminait par les images d’un reportage sur un fétichiste prêt à verser 100 euros à une femme pour lui lécher les pieds.

Ce soir-là, au «  Grand Journal » , Nicolas Sarkozy est l’invité. Appelé à commenter ce zapping, il s’étonne de ces images d’un « accro au sexe » , se demande s’il est « invité sur le plateau » , si « ce n’est pas un comédien » . Il est stupéfait. À l’évidence, lui qui se targue de bien connaître la télévision, il découvre un programme, créé voilà vingt-trois ans. Il n’a pas vu non plus l’allusion à son ami Georges Tron. C’est peut-être parce que dans le flux des images tombant dru sur le quotidien du petit écran, le ­zapping donne du sens aux images.

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