Arrêter le robinet
Toujours percutant, le « Zapping » de Canal + propose son décryptage du petit écran.
dans l’hebdo N° 1196 Acheter ce numéro
Ce lundi 19 mars, après avoir repris largement la marche du Front de gauche vers la Bastille à Paris, le « Zapping » de Canal + s’achève par une observation de Mathieu Madenian, humoriste chez Drucker, décernant le prix du « pire fils de la semaine » à Louis Sarkozy. Lequel, « 15 ans, a jeté des tomates et des billes sur un gardien de la paix à l’Élysée. Son papa l’a traité de “garnement facétieux”… Tu as de la chance, Louis, de ne pas t’appeler Mamadou et de ne pas vivre à La Courneuve, car sinon tu aurais été traité de délinquant récidiviste et tu aurais été expulsé sur le champ » .
Le « Zapping » s’ouvre le lendemain sur Marine Le Pen au micro de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, jugeant que la régularisation des sans-papiers, prônée par Mélenchon, équivaut « à une submersion migratoire » . Se succèdent des images de la tuerie à Toulouse, les déclarations de Sarkozy puis celles de Hollande. Revient Marine Le Pen, à l’occasion de son meeting en Corse : « Sous prétexte de non-discrimination, nos enfants finissent par apprendre l’histoire de l’islam avant d’apprendre l’histoire de la chrétienté. » Tonnerre d’applaudissements.
Le mercredi 21 mars, le « Zapping » commence sur les propos d’un patient en hôpital psychiatrique, qui a « peur de se retrouver dehors parce que le monde va mal » . Puis Sarkozy de déclarer à des écoliers que le drame de Toulouse aurait pu se passer « dans [leur] école, avec le même assassin » . Dans « Ce soir ou jamais » , le philosophe Bernard Stiegler lui répond : « Sarkozy a dit des choses absurdes aux enfants, en exploitant leur angoisse, en le disant à leurs parents, qui sont des électeurs. C’est effroyable, consternant et révoltant. » Suit un extrait des Guignols. Sarkozy, Guéant et Hortefeux se recueillant en silence. « C’est vrai que ça fait du bien quand ils se taisent » , assène PPDA.
Le lendemain encore, tandis que le Sarko show continue, les Guignols mettent en scène Hortefeux et Guéant chantant de joie : « C’est un Arabe ! C’est un Arabe ! » , puis Le Pen, père et fille : « C’est pas un néonazi ! C’est pas un néonazi ! » Quelques images plus tard, Marine Le Pen poursuit : « Peut-être qu’il va falloir parler de la peur dans laquelle vit notre pays. »
Éclairé, éclairant. Le « Zapping » puise dans le quotidien de toutes les télés. Il se sert au robinet des infos, du divertissement, du documentaire, de l’infotainment. Il retient ce qu’il veut bien. Pour livrer chaque jour vingt-quatre heures de télévision en six minutes. Six minutes foisonnantes, ramassées par une équipe de onze zappeurs arc-boutés sur le petit écran, sous la houlette de Patrick Menais (depuis le début, en 1989). Un exercice de funambule. À la manière d’un plan de coupe dans un débat présidentiel, il propose une lecture, un décryptage implacable de la télévision, mais aussi de l’actualité. À ne pas regarder comme un bêtisier. Dans l’essentiel côtoyant le dérisoire, la frivolité succédant à l’intelligence, chaque numéro a sa hiérarchisation, ses résonances, ses enchaînements. Rien n’est innocent.
Le 16 mars, le « Zapping » mettait l’accent sur les ouvriers d’ArcelorMittal subissant les gaz lacrymogènes des CRS, puis Sarkozy leur proposant un rendez-vous au lundi suivant, et enfin Nagui déconnant dans son émission « N’oubliez pas les paroles » , goguenard, roublard. Pas de hasard dans ce montage. Ce numéro se terminait par les images d’un reportage sur un fétichiste prêt à verser 100 euros à une femme pour lui lécher les pieds.
Ce soir-là, au « Grand Journal » , Nicolas Sarkozy est l’invité. Appelé à commenter ce zapping, il s’étonne de ces images d’un « accro au sexe » , se demande s’il est « invité sur le plateau » , si « ce n’est pas un comédien » . Il est stupéfait. À l’évidence, lui qui se targue de bien connaître la télévision, il découvre un programme, créé voilà vingt-trois ans. Il n’a pas vu non plus l’allusion à son ami Georges Tron. C’est peut-être parce que dans le flux des images tombant dru sur le quotidien du petit écran, le zapping donne du sens aux images.