« Climat : les femmes oubliées »
Alors que l’Union prône une équité entre les genres, sa politique contre le dérèglement climatique est dominée par les hommes, relève l’eurodéputée EELV Nicole Kiil-Nielsen.
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D’un côté, l’Union européenne œuvre à la promotion de l’égalité hommes-femmes. De l’autre, le changement climatique fait l’objet de nombreuses actions. Mais, selon l’eurodéputée Nicole Kiil-Nielsen, les mêmes institutions éprouvent des difficultés à mettre en cohérence ces deux champs. Les femmes sont pourtant les premières victimes des changements climatiques, surtout dans les pays du Sud, et leur expérience peut parfois aider à trouver des solutions innovantes.
En avril, vous présenterez au Parlement européen un rapport sur les femmes et le climat, adopté à une très large majorité en Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres. En quoi estimez-vous nécessaire de faire un cas d’espèce de ce sujet ?
Nicole Kiil-Nielsen: Certes, la conscience des inégalités de genre est devenue importante dans l’Union. Pourtant, elle est totalement absente de sa politique climatique ! Pour une féministe historique comme moi, c’est décevant. Il suffit que surgisse une problématique nouvelle pour que la préoccupation des discriminations de genre passe à la trappe, et que l’on retombe dans des approches dominées par le mode de pensée des hommes, de préférence blancs. Ma démarche est en quelque sorte un rappel à l’ordre collectif.
Je suis intervenue, au sommet de l’ONU sur le climat de Durban, en décembre dernier, pour demander l’inclusion d’au moins 40 % de femmes dans toutes les instances traitant du sujet.
Au-delà de la revendication de principe, les femmes sont-elles spécifiquement concernées par les bouleversements climatiques ?
Elles en sont les premières victimes, et c’est très évident dans les pays du Sud. Les femmes y sont souvent majoritaires dans l’agriculture ; quand surviennent des migrations forcées, et de plus en plus en raison de problèmes climatiques, elles constituent 80 % du contingent des réfugiés. Plus globalement, les plus pauvres sont les plus vulnérables à ces changements. Parmi ceux qui vivent avec moins de 1 dollar par jour, on trouve 70 % de femmes…
Les femmes peuvent-elles apporter
des solutions propres ?
Leur vécu ou la répartition des rôles dans la société les met en situation de voir les problèmes d’une manière différente, et d’y apporter des réponses nouvelles. Ainsi, au Honduras, La Masica fut la seule municipalité frappée par l’ouragan Mitch, en 1998, à ne pas déplorer de morts : il existait un système d’alerte, mis en place à l’initiative des femmes, parce qu’elles étaient soucieuses de la protection des enfants et des personnes âgées.
En Tanzanie, où des puits étaient asséchés, une ONG a fait appel aux femmes pour définir de nouveaux forages : la quête quotidienne de l’eau leur a donné une expérience en la matière. À Helsinki, en Finlande, après une consultation citoyenne, les personnes avec poussette ont obtenu la gratuité des transports en commun, ce qui les incite à ne pas prendre de voiture. À Malmö, en Suède, les bus s’arrêtent désormais à la demande pour les femmes, la nuit, ce qui rassure celles qui redoutent les agressions.
Dans de nombreux pays, les femmes prennent des décisions clés pour la vie quotidienne. Alors que la recherche de solutions cale, pourquoi se priver des idées d’une moitié de la population pour rendre plus efficaces les politiques contre le dérèglement ? On en convient plus facilement quand il s’agit de problèmes des pays du Sud. Ainsi, il est acquis que l’éducation des filles y est un levier déterminant pour la sortie de la pauvreté. Chez nous, la sensibilisation passera par la collecte de données spécifiques aux discriminations de genre autour de la question climatique, aujourd’hui inexistantes.
Ne redoutez-vous pas d’être isolée
dans votre démarche ?
Ce n’est pas le cas. Même si la pertinence de ce débat émergent n’apparaît pas évidente pour les gens au premier abord, il suscite beaucoup d’intérêt. J’ai pu le constater avec les auditions que j’ai organisées pour mon rapport.
À Durban, Connie Hedegaard, commissaire européenne à l’Action pour le climat, a fait une déclaration dans le même sens que moi. Michelle Bachelet, ex-présidente du Chili, a appelé à une refonte des politiques de développement et de lutte contre le dérèglement climatique afin de mieux les adapter aux besoins des femmes, à l’ouverture de la dernière session de la Commission sur la condition de femmes, à l’ONU. Des propos appuyés par Asha-Rose Migiro, vice-secrétaire générale de l’organisation.