Des collèges publics en location-vente

Claude Bartolone recourt au partenariat public-privé pour la construction et la rénovation d’établissements scolaires en Seine-Saint-Denis.

Thierry Brun  • 15 mars 2012 abonné·es

Contrairement à certains élus PS, comme Roland Ries, maire de Strasbourg, qui a récemment renoncé à un partenariat public-privé (PPP) pour la rénovation des bains-douches de sa ville, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, présentera aux conseillers généraux, ce jeudi 15 mars, « les plus gros contrats que le département ait jamais conclus en partenariat public-privé » , selon le syndicaliste CGT Franck Boyer.

L’élu socialiste signera trois contrats pour la construction de cinq collèges et la rénovation ou la reconstruction de sept autres, « selon une formule de ­location-vente qui engagera de façon hasardeuse le département pour vingt ou trente ans » , déplore la CGT. Pour le financement de cette opération, la plus importante de ce type dans l’Éducation nationale, Claude Bartolone a répondu qu’il s’est engagé sur « 703 millions de coût total [qui] se divisent en 380 millions pour la maîtrise d’ouvrage directe du conseil général, et 323 millions en contrat de partenariat ».

Mais « l’opacité la plus complète règne quant aux impacts financiers pour la collectivité et aux conséquences pour l’emploi et le service public départemental », estiment la CGT et la FSU du conseil général, qui soulignent que, depuis un an, « aucun élément d’information n’a été ­communiqué sur ce dossier » , dans une lettre ouverte adressée au président du conseil général, lui demandant de renoncer à la signature des contrats.

Une intersyndicale (CGT, FSU, SUD-CT, FO, CFTC et CFDT) représentant les salariés du conseil général de Seine-Saint-Denis est montée au créneau contre la « dangerosité » de ces PPP, qui ont aussi rencontré l’opposition des élus communistes dès octobre 2010, quand Claude Bartolone a présenté son « plan exceptionnel d’investissement   ».

« On se battra jusqu’au bout pour que tous ces collèges soient construits et rénovés en maîtrise d’ouvrage publique, c’est-à-dire par les services du département » , lance Michel Borg, de SUD-CT. L’intersyndicale a rappelé les réserves formulées par la Cour des comptes, ainsi que les avis défavorables du conseil départemental de l’Éducation et du comité technique paritaire. En vain, car l’affaire a été conclue en février, indiquent les rapports du conseil général sur ces contrats.

Malgré les avertissements, deux des trois contrats ont été confiés à Eiffage, cinquième groupe européen de BTP, le troisième revenant au groupe Fayat, quatrième champion français du BTP. Les entreprises se partageront un loyer annuel de 24,4 millions d’euros pendant vingt ans, versé par la collectivité, laquelle devra s’endetter de 130 millions d’euros pour sa participation dans les seuls PPP, selon les syndicats. « La formule PPP ajoute deux dépenses supplémentaires , explique Franck Boyer, de la CGT. Des taux d’intérêts plus élevés et des marges d’entreprises pour dégager des profits. »

Ce type de contrat est lourd de conséquences : « Un collège réalisé par le privé ­coûtera 28,3 millions d’euros, estime Michel Borg. Or, nous avons un exemple d’un collège de 700 élèves réalisé en maîtrise d’ouvrage publique avec gymnase, internat et cuisine centrale (ce qui n’est pas le cas des contrats de PPP), qui a coûté 28,7 millions », ajoute le syndicaliste.
Sans compter que ces 28,3 millions peuvent grossir avec les surcoûts à prévoir, prévient Yves Rousseau, de la FSU, qui cite le cas récent de l’hôpital ­sud-francilien dans l’Essonne. La chambre régionale des comptes a estimé qu’il reviendra à 1,2 milliard d’euros sur trente ans, alors qu’il aurait coûté seulement 757 millions si l’État l’avait financé.

Les syndicats réfutent aussi l’«  urgence  » et l’«  efficacité supérieure du privé  » invoquées par Bartolone. « Toutes les expériences le montrent : le PPP, c’est plus cher, pas plus rapide et moins fiable que la gestion publique » , défend l’intersyndicale. « Le budget départemental subit déjà lourdement les transferts de charge non compensés par l’État, il ne pourrait supporter sans dommages majeurs un échec du PPP et la création d’un nouveau gouffre financier » , avertissent la CGT et la FSU.

« On va créer des capacités supplémentaires, mais avec quels enseignants ? » , interroge quant à lui Franck Boyer, qui souligne que, sur les trois dernières années, 100 emplois ont été supprimés dans les collèges. Par ailleurs, « le PPP fait peser de sérieuses menaces sur l’emploi et le statut des personnels » , relève FO, qui note que les adjoints techniques territoriaux des établissements d’enseignement (Attee, ex-Atoss) travaillant dans les collèges « ne sont pas remplacés » . Le conseil général assure qu’ « entre 2012 et 2013 l’augmentation des dépenses de fonctionnement est freinée à 1,6 % » . Les économies « ne se feront-elles pas en diminuant le nombre d’agents ? » , s’inquiète le syndicat.

Favorable au programme d’investissement dans les collèges, l’intersyndicale prend acte des « cadeaux » faits aux « groupes du BTP » et du « coût financier insupportable qui hypothéquera pour vingt ans l’investissement public et l’emploi » dans le département.

Économie
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