Des ONG sur la sellette

Une quarantaine de membres de plusieurs ONG occidentales sont jugés au Caire pour « activités illicites ». Entendre : ingérence…

Samir Hamma  • 8 mars 2012 abonné·es

C’est sur fond de vives tensions diplomatiques entre les États-Unis et l’Égypte que s’est ouvert le 26 février au Caire dernier le procès d’une quarantaine de membres d’ONG. Accusés de financement et d’activités illicites, ainsi que de tentatives d’ingérence politique, les 44 prévenus, dont 19 Américains, seront finalement jugés le 26 avril prochain.

Au-delà de l’agitation médiatique, ce procès pose la question de la nature réelle de l’activité menée par certaines organisations non-gouvernementales. Les principaux accusés, le National Democratic Institute (NDI) et l’International Republican Institute (IRI), proches respectivement des partis démocrate et républicain américains, se voient reprocher d’avoir bénéficié de près de 48 millions de dollars de financement illicite. Somme colossale dont l’origine reste inconnue. En outre, ces ONG sont soupçonnées d’avoir « établi des branches non-accréditées d’organisations internationales » et d’avoir « accepté des fonds étrangers pour financer ces organisations en violation de la souveraineté de l’État égyptien » .

La procédure, ouverte en août 2011, avait connu un tournant majeur lors de la perquisition le 29 décembre dans les locaux de 17 ONG égyptiennes et étrangères, qui a débouché sur la saisie de nombreux ordinateurs et de documents. Outre la NDI et l’IRI, la Fondation allemande Konrad-Adenauer, proche de la CDU, de la chancelière Angela Merkel, qui menait une mission d’observation des élections, est également visée par l’acte d’accusation.

Sur le plan diplomatique, la tension est légèrement retombée entre Washington et Le Caire après la décision des autorités égyptiennes, sous la pression d’Hilary Clinton, de lever l’interdiction de sortie du territoire imposée aux membres des ONG accusées. Dix-sept employés étrangers, membres d’organisations de défense de la société civile, dont neuf Américains, ont ainsi quitté l’aéroport du Caire pour Chypre à bord d’un appareil privé. Sam LaHood, principal accusé, fils du ministre des Transports américain, Ray LaHood, et responsable de la section Égypte à l’IRI, faisait partie du voyage.

Plus ou moins explicitement exprimée par les autorités égyptiennes, l’accusation d’espionnage est-elle fondée ? Andrew Natsios, directeur d’USAid, l’Agence d’aide au développement du Département d’État américain, dans une déclaration officielle du 21 mai 2003, annonçait clairement les nouvelles conditions du financement américain aux ONG : « Les ONG doivent obtenir de meilleurs résultats et mieux promouvoir les objectifs de la politique étrangère des États-Unis, ou bien nous trouverons de nouveaux partenaires. » Cette nouvelle exigence (ou menace) de l’administration américaine imposait alors aux organisations humanitaires engagées en Afghanistan ou en Irak de prouver non seulement qu’elles n’avaient aucun lien avec les organisations terroristes, mais que leur action participe activement à la propagation de la doctrine diplomatique américaine…

Dans une tribune intitulée « Mission civilisatrice, action humanitaire », publiée par le Monde diplomatique, l’ancien directeur de Médecins sans frontières (MSF), Rony Brauman, notait quant à lui que « même si les membres des ONG humanitaires sont officiellement des contempteurs du colonialisme, à voir les pratiques de ceux qui se perçoivent comme des agents de développement, l’esprit de la “mission civilisatrice” a survécu à la disparition de l’impérialisme colonial. On reprendra de Jean-Pierre Olivier de Sardan les deux catégories étroitement mêlées formant le socle de légitimation d’une grande partie de l’aide internationale, qu’il a décrite comme le “paradigme altruiste” et le “paradigme modernisateur”. Toujours à l’œuvre, elles organisent les discours et les pratiques de nombre d’acteurs, qu’ils appartiennent à la Banque mondiale, aux Nations unies ou aux ONG » .

Selon Rony Brauman, les ONG contribuent néanmoins à produire de nouvelles régulations dans l’espace politique mondial : « Elles expriment un mouvement de fond que l’on peut comprendre comme un enrichissement de la démocratie dans un sens participatif, alors que ses formes traditionnelles électives semblent s’essouffler. Cette nouvelle légitimité et la popularité qui la soutient ne sont cependant pas sans conséquences. Elles furent à de nombreuses reprises utilisées par l’administration américaine pour présenter sous un jour favorable ses offensives consécutives aux attentats du 11 Septembre : ‘‘J’entends m’assurer, disait M. Colin Powell en octobre 2001, que nous avons les meilleures relations avec les ONG, qui sont une part si importante de notre équipe de combat. […] Car [nous] sommes tous engagés vers le même but singulier, aider l’humanité […], donner à tous la possibilité de rêver à un avenir qui sera plus radieux.” »

Ces déclarations, dans le contexte brûlant de la situation égyptienne, réveillent tous les soupçons. La proximité financière des deux ONG accusées avec les principaux partis politiques américains renforce l’accusation. Au prétexte « d’éduquer les peuples à la démocratie » , les ONG américaines sont en pleine ambiguïté. Ce ne sont pourtant que les membres égyptiens des organisations en question, et eux seuls, qui comparaîtront devant la justice égyptienne.

Monde
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