Énergie : la précarité s’aggrave

En France, huit millions de personnes ont du mal à payer leurs factures pour s’éclairer et se chauffer. Le médiateur national de l’énergie dénonce des mesures de protection sociale mal adaptées.

Patrick Piro  • 29 mars 2012 abonné·es

Ils ont accumulé une dette de plusieurs centaines d’euros envers leur fournisseur de gaz ou d’électricité. Bien souvent, ils ne pourront jamais payer : quelque 3,8 millions de foyers, totalisant 8 millions de personnes[^2], sont débordés par une facture d’énergie représentant plus de 10 % de leur budget, un seuil qui signale le risque de « précarité énergétique » .

Les plus modestes composent le gros de cette cohorte. Des familles qui baissent drastiquement le chauffage, coupent les radiateurs ou arrêtent de payer leurs mensualités. En cause : la progression de la pauvreté en France, une concentration de ménages modestes dans des logements anciens mal isolés, et la hausse des factures d’énergie, qui semble inéluctable. Depuis trois ans, le prix de l’électricité a grimpé deux fois plus vite que l’inflation, et la Commission de régulation de l’énergie prévoit une hausse de 30 % d’ici à 2016. Le gaz est 25 % plus cher qu’en 2010. Selon l’Institut national de la consommation, la facture de chauffage et d’électricité des Français a bondi d’un tiers en dix ans !

Le gouvernement n’a commencé à se mobiliser qu’en mars 2011, avec la création d’un Observatoire national de la précarité énergétique, qui vient seulement d’entrer en opération. Alors que le pays ne dispose toujours pas d’état des lieux fiable de ce nouveau problème social, le médiateur national de l’énergie livre des indications préoccupantes.

Cette autorité indépendante, établie en 2007 pour proposer des solutions aux litiges sur la fourniture de gaz et d’électricité, relève dans son dernier rapport^3, datant de la semaine dernière, une recrudescence des saisines : plus de 8 000 en 2011. Plus de 15 % d’entre elles concernent de lourdes difficultés de paiement, pour des dettes de 1 900 euros en moyenne ! L’Union nationale des centres communaux d’action sociale – les CCAS, qui reçoivent les demandes d’aides des publics en difficulté – signalait il y a six mois que 97 % des nouvelles demandes enregistrées par ces guichets en 2011 concernaient les factures d’énergie – une confirmation des observations des deux années précédentes.

Ces constats révèlent combien les parades sociales spécifiques sont devenues inopérantes. Les aides aux consommateurs en difficulté sont éclatées en plusieurs guichets : le tarif de première nécessité (TPN) pour l’électricité, le tarif spécial solidarité (TSS) pour le gaz, le Fonds solidarité logement (FSL). Ces dispositifs sont peu performants : alors que 2 millions de personnes ont théoriquement droit à ces tarifs sociaux au vu de leurs faibles revenus, seuls 650 000 d’entre eux émargent au TPN et 300 000 au TSS – pour des réductions de dépenses de 240 euros en moyenne par an.
L’inscription sur les fichiers sociaux, depuis le 1er janvier, donne cependant, en théorie, un accès automatique aux tarifs aidés. Mais cette amélioration ne traite qu’une partie du problème. Ainsi, seule EDF peut proposer le TPN, qui est compensé[^4]. Les 2 millions de clients des fournisseurs alternatifs d’électricité n’y ont pas droit.

Par ailleurs, le médiateur critique sévèrement la pratique des coupures d’électricité (facturées au client !) en cas de défaut de paiement. Certes, elles sont interdites pendant la période hivernale pour les 300 000 bénéficiaires du Fonds solidarité logement (en 2010), mais pas pour les autres foyers précaires.

Le médiateur propose donc de refondre ces aides par l’attribution d’un « chèque énergie » global de 270 euros aux foyers en situation de précarité énergétique, ainsi que l’abandon des coupures hivernales pour tous et la création d’un fournisseur « de dernier recours » , pourvoyeur d’un service minimum pour les plus démunis.

Franck Dimitropoulos, animateur du réseau «  Rappel  » de lutte contre la précarité énergétique, juge intéressant le principe du chèque énergie. « Mais il faut aller plus loin, maintient-il. Nous appelons depuis des années à un véritable “bouclier énergétique”, qui protégerait intégralement les plus vulnérables. »

[^2]: Insee, mai 2011.

[^4]: Via la Contribution au service public de l’électricité (CSPE), prélevée sur la facture de tous les consommateurs.

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes

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