Front de Gauche : les raisons du succès

Crédité jusqu’à 14 % des intentions
de vote, Jean-Luc Mélenchon est désormais soutenu par une partie du NPA.

Pauline Graulle  • 29 mars 2012 abonné·es

Beau fixe pour Jean-Luc Mélenchon. Dimanche 18 mars, sa « prise de la Bastille » réunissait, au-delà des espérances, entre 80 000 et 100 000 personnes. Cinq jours plus tard, un sondage réalisé par l’institut BVA faisait du candidat du Front de gauche le troisième homme de la présidentielle, avec 14 % des intentions de vote (en progression de 5 points en un mois !), devant François Bayrou (12 %) et… Marine Le Pen (13 %).

Cerise sur le gâteau, la veille, Hélène Adam, Myriam Martin et Pierre-François Grond, animateurs de l’aile « unitaire » du NPA (voir encadré), publiaient une tribune dans Libération appelant « à voter Mélenchon le 22 avril »  : « La dynamique politique militante qui ne cesse de s’amplifier […] est un facteur important du rapport de forces et un puissant encouragement pour les luttes sociales, écrivaient-ils. Dès lors, […] si nous sommes nombreux à exprimer notre force par notre vote le 22 avril pour la candidature de Jean-Luc Mélenchon, la situation en sera nécessairement bouleversée. »

Comment expliquer un tel succès ? Bien qu’il juge cette poussée « un peu surestimée par les journalistes » , Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille-II et spécialiste du PS (auteur de Primaires socialistes : la fin du parti militant, Raisons d’agir), ne se montre pas surpris. L’espace laissé vacant par un PS qui se déporte vers le centre, et par une extrême gauche affaiblie depuis le départ d’Olivier Besancenot, a ouvert un boulevard idéologique au Front de gauche.

Même constat de Roger Martelli, historien du PCF et codirecteur du mensuel Regards : le bon score du candidat du Front de gauche correspond, selon lui, au traditionnel niveau de « la gauche de gauche » qui, depuis les années 1990, ­rassemble entre 12 et 20 % des suffrages. « La France a une vraie tradition révolutionnaire, ­plébéienne, qui n’est pas à la marge, indique-t-il. L’“anormalité”, c’était en 2007, lorsque la gauche de gauche est tombée sous la barre des 10 % du fait de sa dispersion. Jean-Luc Mélenchon, qui propose une candidature rassembleuse et a créé une vraie dynamique, a rendu à la gauche de gauche son niveau “normal”. »

Fin juin, 41 % des militants du NPA s’étaient opposés à la désignation de Philippe Poutou, perçue comme l’affirmation d’une ligne sectaire, et prônaient au contraire un dialogue ouvert avec le reste de la gauche de gauche. Parmi eux, des membres de la direction : Myriam Martin et Guillaume Liégard, respectivement coporte-parole et trésorier du parti, Pierre-François Grond, ancien bras droit de Besancenot… Ces derniers créent alors un « courant unitaire pour l’écosocialisme » qui se constitue en fraction début novembre : la Gauche anticapitaliste affirme rassembler 40 % des membres du conseil politique national du NPA. Constatant des positions différentes en son sein, la GA a toutefois décidé, le 18 mars, de privilégier son unité et de ne pas prendre, en tant que courant, de position concernant le vote au 1er tour.

La personnalité de Mélenchon – seul candidat qui relève le challenge de faire chanter, place de la Bastille, «  l’Internationale  » à des milliers de jeunes «  bobos  » parisiens comme aux «  prolos  » des Fralib ! – n’est pas pour rien dans cette affaire. « Il a réactivé une culture de gauche en déclin, il l’a stylisée par un effet nostalgie » , analyse Rémi Lefebvre. « Dans une campagne technocratique, son style vivant, percutant, assez populaire, est efficace » , ajoute Roger Martelli, qui reconnaît le précieux soutien de l’appareil militant du PCF.

Selon Rémi Lefebvre, c’est surtout le discours «  syncrétique  » de Mélenchon qui explique sa popularité : « Dans ses discours, Mélenchon coagule des familles politiques très différentes : c’est un républicain de gauche, très “prof IIIe République”, avec une vraie rationalité argumentée, ce qui plaît aux intellos. Ses références à la “lutte des classes” séduisent les altermondialistes. Enfin, il a fait sa mue écologique, ce qui convainc l’électorat vert. »

Mélenchon, qui s’attache de meeting en meeting à réveiller la conscience de classe de ses sympathisants, montre un volontarisme qui n’est pas sans évoquer le Sarkozy de 2007. « Mélenchon incarne un retour de la politique, il réhabilite une gauche critique et alternative qui s’était éteinte dans les années 1980, souligne Roger Martelli. En 2007, Sarkozy était franchement à droite et cela a payé. Mélenchon estime que la bataille doit se faire vraiment à gauche, et cela fonctionne. »

Le « phénomène Mélenchon » sera-t-il plus qu’une parenthèse enchantée ? Si François Hollande est élu en mai, « la gauche de gauche aura la lourde responsabilité de ne pas décevoir » , pointe Roger Martelli, qui estime qu’elle devra passer par d’importants « repositionnements politiques » . « Pour l’instant, on est dans une phase d’enchantement liée à l’élection présidentielle, estime Rémi Lefebvre mais le Front de gauche a l’épée de Damoclès des législatives au-dessus de la tête » .