La Réunion, une « goutte » d’espoir
Le département français est secoué par des émeutes, sur fond de mouvements citoyens. Explications de Daniel Cadet.
dans l’hebdo N° 1192 Acheter ce numéro
Président des Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Cemea), organisations d’éducation populaire qui existent depuis une cinquantaine d’années, Daniel Cadet travaille auprès des jeunes des quartiers populaires.
Quelle est la nature des troubles
qui agitent La Réunion ?
Daniel Cadet : Le mouvement a commencé avec des transporteurs qui ont monté des barrages pour réclamer une baisse du prix de l’essence. Des mouvements de lutte contre la misère se sont greffés pour demander une baisse des prix de produits de première nécessité. Des appels à la population se sont faits insistants et la mayonnaise a pris. Mais ces leaders ont très vite rendu les armes pour se ranger derrière les propositions du préfet. Se sentant trompés, les gens se sont retrouvés dans la rue, avec gros sur le cœur, notamment dans les quartiers difficiles qui vivent la misère au quotidien. Des exactions ont eu lieu dans une dizaine de villes, violemment réprimées. Des pelotons de gendarmes se sont déployés. Saint-Denis a été quadrillée. Il y a eu des échanges de cocktails Molotov et de bombes lacrymogènes, avec des survols d’hélicoptères, on se serait crus à Beyrouth ! Les troubles se sont un peu calmés pendant le week-end, mais lundi, alors qu’on était à la veille d’une négociation sur une baisse des prix de quarante produits de première nécessité, des voitures et du mobilier urbain ont été incendiés, des commerces détruits… Ainsi qu’un bâtiment public, le centre d’animation socio-éducatif du quartier sensible du Chaudron. Récemment repris en main par des associations et des gens identifiés comme trop proches de la mairie, cette maison des jeunes était devenue le symbole d’une administration sourde.
Ces exactions ont impliqué majoritairement des jeunes. Un prétexte ou une démarche politique ?
Ces mouvements ne sont pas organisés mais la démarche est politique : elle est l’expression d’un ras-le-bol. Ces jeunes crient leur difficulté à voir leurs parents ramer, ne plus savoir quoi mettre dans les assiettes. Ils ne se voient pas prendre la suite, plus précaires encore. Ils viennent le dire sur la place publique, cela prend la forme d’un affrontement avec la force publique. Il faut voir à quel point leur situation sociale est difficile : plus de 60 % sont au chômage !
Six jeunes condamnés à des peines lourdes, 233 personnes arrêtées. Que penser de la réaction des pouvoirs publics ?
La réaction n’est pour l’heure que policière et judiciaire. La dureté des peines est révoltante : certains écopent de deux ans de prison dont dix-huit mois fermes. Cela ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu ! La solution, c’est d’aller à la rencontre de ces jeunes, de leur donner la parole, de leur donner des perspectives et d’entamer avec eux des discussions par l’intermédiaire des forces vives, des mouvements caritatifs, des clubs sportifs, des mouvements d’éducation populaire (Cemea, Ligue de l’enseignement, Francas…), autour d’un dispositif qui s’inscrive dans un projet de responsabilité et de citoyenneté.
Les associations sont-elles encore entendues par les jeunes ?
Hormis quelques-uns qu’on voit lancer des pavés à la télévision, ces jeunes ne demandent qu’à être entendus. Mais on ne leur donne pas la parole ! Le maire de Saint-Denis, trop absent, a bien tenté un geste de dialogue, mais ils ne veulent pas de politiques. Le salut réside dans les associations non étiquetées qui font, avec trop peu de moyens, un travail de médiation et de valorisation depuis des années auprès de ces jeunes. Ça vaut le coup d’essayer de passer par elles.
Les Antilles en 2009, Mayotte en 2011. La révolte se propage ?
Il faut condamner la violence qui d’ailleurs parasite une autre actualité, plus réconfortante : depuis trois semaines, des mouvements comparables à celui des Indignés émergent. Les gens se réunissent sur les plages, devant les mairies, et essaient d’inventer une autre citoyenneté. Certains l’appellent le mouvement de la « Goutte d’eau ». Ces gouttes qui commencent à perler sont porteuses d’espoir. Il faut trouver comment construire autour de ça sans perdre de vue les solutions aux niveaux économique et social.