Le début de l’ère postnucléaire

La catastrophe de la centrale japonaise, le 11 mars 2011, a donné un coup d’arrêt aux projets nucléaires dans le monde. Tandis que les énergies renouvelables gagnent régulièrement du terrain.

Patrick Piro  • 1 mars 2012 abonné·es

Le Japon, sous le regard quelque peu incrédule du reste du monde, s’est sevré du nucléaire à la dure, en moins de douze mois. Sur les 54 réacteurs que comptait son parc, qui fournissaient 30 % de l’électricité du pays avant la catastrophe de Fukushima, 2 seulement sont encore en fonctionnement, bientôt arrêtés. Fin avril, le Japon aura rejoint le club des pays sans électricité nucléaire.

Il y a un an, un séisme hors norme secoue le nord-est du Japon, à 145 km au large des côtes. Le tsunami provoque près de 30 000 morts et disparus. Le mur d’eau atteint 10 mètres de haut au niveau de Fukushima. La centrale est très gravement endommagée. En quelques heures, les cœurs de trois réacteurs alors en fonctionnement (sur six) entrent en fusion. Un accident majeur, classé 7 sur l’échelle internationale de gravité « Ines », comme Tchernobyl.

172 000 personnes ont été évacuées dans un rayon de 30 à 40 kilomètres de la centrale, et vivent encore dans des conditions précaires un an plus tard. Certaines zones devraient rester invivables pendant plusieurs centaines d’années. 40 ans : c’est la durée prévue pour le démantèlement total de la centrale dévastée. En raison du niveau de radiations, un diagnostic exact de la situation des trois cœurs fondus ne sera pas possible avant dix ans. 300 milliards de dollars : c’est l’estimation, qui restera longtemps provisoire, du coût pour le Japon de la catastrophe nucléaire.
Une quinzaine d’autres réacteurs japonais ont été mis hors service par le séisme. Les autres s’arrêtent un à un depuis, pour des visites de maintenance classique programmées tous les treize mois environ, et ne redémarrent pas, car ils doivent se soumettre à des tests complémentaires afin de vérifier leur résistance à un événement de type Fukushima. Deux réacteurs à la centrale d’Ohi (centre-ouest), viennent de les passer avec succès, mais ce n’est que le préliminaire d’un long processus avant un éventuel redémarrage. Il leur faudra surtout obtenir le blanc-seing des autorités locales, qui, en pleine défiance, font blocage.

Cette mise sur la touche conjoncturelle du nucléaire pourrait bien déboucher sur une sortie définitive. L’hypothèse est soutenue par l’hostilité de l’opinion publique japonaise, devenue majoritairement favorable à un abandon de l’atome. Osaka, Kyoto et Kobé, trois des sept premières villes du pays, viennent de demander à la Kansai Electric Power Company (Kepco, dont 11 réacteurs sont aujourd’hui à l’arrêt), fournisseur dont elles sont actionnaires (minoritaires), d’envisager une indépendance définitive vis-à-vis du nucléaire. Les manifestations antinucléaires rassemblent des milliers de personnes dans la rue, et le pays, à qui on prédisait les affres d’une terrible pénurie, s’est tiré à bon compte de sa « panne » d’atome. Certes, grâce à ses centrales de réserve à fioul, au gaz et à charbon, mais surtout grâce à une lutte contre le gaspillage, qui a réduit la consommation de 15 %, voire plus dans certains cas.
Le grand rendez-vous sur l’avenir des centrales est fixé à l’été prochain, quand le gouvernement disposera de l’étude approfondie qu’il a commandée sur la réforme du système énergétique du pays. D’ores et déjà, il est acquis que le développement des renouvelables sera une priorité.

L’accident de Fukushima, parce qu’il a frappé un pays de haute technologie obsédé par la sécurité, a ébranlé l’ensemble de la planète nucléaire. De nombreux projets de réacteurs ont été gelés, et l’avenir apparaît désormais très incertain. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) tente de faire bonne figure en s’appuyant sur un fragile regain d’intérêt pour le nucléaire manifesté depuis les années 2000, et pompeusement qualifié de « renaissance » : après une stagnation d’une quinzaine d’années, il s’est ouvert, depuis 2007, une douzaine de chantiers dans le monde. Au cours des deux décennies à venir, l’Agence prévoit la concrétisation de 90 chantiers de réacteurs seulement.

La Chine, qui s’est lancée dans un vaste programme nucléaire, est à elle seule le baromètre de ce maigre optimisme, avec 10 des 16 réacteurs en construction dans le monde en 2010, et un parc d’une soixantaine d’unités prévu pour 2020. Cependant, depuis l’accident japonais, le pays, qui compte 15 réacteurs en service, a demandé un audit sur ses chantiers en cours et a gelé toute nouvelle autorisation. Une poignée de pays d’Asie, dont la Corée du Sud et l’Inde, concentrent les espoirs de l’industrie nucléaire. Le Japon en faisait partie, qui projetait la construction d’une dizaine de nouveaux réacteurs pour 2030 : ils sont abandonnés…
Dans sa dernière prospective datant de 2011, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) envisageait pour la première fois un reflux du nucléaire à l’horizon 2035 : la filière ne contribuerait plus qu’à 7 % de la production mondiale d’électricité, contre 13 % aujourd’hui.

Parmi la douzaine de pays gros producteurs d’électricité nucléaire, sept seulement ont confirmé leur choix sans sourciller : Canada, Corée du Sud, France, Royaume-Uni, Russie, Suède, Ukraine. Ailleurs, comme en Chine, on s’interroge. Aux États-Unis (104 réacteurs, le plus grand parc mondial), la Commission de régulation du nucléaire (NRC) vient de délivrer une autorisation pour deux nouveaux chantiers en Géorgie, mais c’est la première depuis l’accident de Three Mile Island (Pennsylvanie), en 1979, et elle est déjà attaquée en justice par des associations (les obligations de sûreté ne prendraient pas en compte les enseignements de Fukushima). Le coût prévu (14 milliards de dollars) est considéré comme prohibitif par les opérateurs énergétiques du pays, dont ­plusieurs ont ­ouvertement considéré, après le 11 mars 2011, que le nucléaire n’avait plus d’avenir.

L’importance du nucléaire, aux États-Unis, n’a fait que décliner ces dernières années, sa part dans la production d’électricité est aujourd’hui tombée à 20 %.
C’est en Europe que le choc Fukushima a été le plus retentissant. L’Italie se préparait à construire 4 réacteurs, après un moratoire de vingt ans : projet enterré par le référendum de juin 2011, à 94 % des voix ; la Suisse, où le nucléaire compte pour près de 40 % de la production électrique, a décidé fin mai 2011 d’en sortir totalement à l’horizon 2034. La Belgique (52 % de nucléaire) a confirmé une décision similaire en octobre dernier.

Sous la pression de la population, l’Allemagne, surtout ,a fermé 8 réacteurs d’un coup l’été dernier. Les neufs qui restent devraient être débranchés d’ici à 2022. La décision de Berlin est lourde de conséquences : le constructeur de centrales Siemens et l’électricien E.ON (l’équivalent d’Areva et d’EDF en France) ont annoncé que leur avenir était désormais dans les énergies renouvelables.
Cette orientation stratégique est loin d’être isolée. La Chine, fer de lance de la pseudo-renaissance nucléaire, a prévu un développement au moins aussi considérable de l’éolien, qui pourrait produire autant que l’atome en 2020. Sans parler des autres filières vertes.

À l’échelle planétaire, il est ­saisissant de comparer le dynamisme des renouvelables à l’atonie ­globale du marché nucléaire, constaté depuis les années 1990 et encore accentué par Fukushima. En 2010, les investissements dans l’éolien, le solaire, la biomasse, etc. ont atteint 211 milliards de dollars, ce qui représente une croissance annuelle de plus de 30 % six années de suite ! La part des énergies renouvelables dans la production mondiale d’électricité approche désormais 20 % [^2], suivant une courbe régulièrement croissante depuis dix ans. Au cours de la même période, la contribution du nucléaire s’est affaissée à un rythme équivalent, passant de 17 % à 13 %.

[^2]: Y compris la cogénération (production combinée d’électricité et de chaleur) et hors grands barrages.

Écologie
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