«Le Policier» : la mort aux dents

Dans le Policier, Nadav Lapid oppose de jeunes policiers à des révolutionnaires. Un film sur la violence qui ronge Israël.

Ingrid Merckx  • 22 mars 2012 abonné·es

Ils sont jeunes, ils sont beaux. Muscles et peau. Corps pleins de vie. Ascension en vélo, pompes, tractions, danse. Ventre bombé par l’enfant qui va naître. Bras et jambes nus au soleil. Ils ont entre 20 et 30 ans. Tellement vivants et tellement proches de la mort… Les uns, surentraînés, font partie d’une police d’élite, « une des plus dangereuses du monde » , une unité antiterroriste qui intervient la nuit, en secret. L’un d’eux, Ariel, est atteint d’une tumeur au cerveau. Dans l’autre groupe, ils sont trois garçons et une fille issus de la jeunesse dorée de Tel-Aviv. Des enfants de riches révoltés par les inégalités qui déchirent la société israélienne. Pour se venger de leur classe, ils préparent une action armée.

Il n’y a pas un Palestinien dans ce film israélien, juste un « Arabe » qui passe sur un parking et à propos duquel un policier lâche : « S’il touche ma bagnole, je le tue » , comme pour rappeler qui est l’ennemi initial. Mais dans le Policier, l’ennemi est intérieur. D’une certaine manière, c’est « ton frère ». Journaliste et ­critique passé à la réalisation, Nadav Lapid se livre d’ailleurs à un développement sur la fraternité dans ce premier long-métrage. Si les policiers se montrent capables d’une grande dureté, sorte de retombée pragmatique de la violence qui les meut au quotidien, ils font preuve de prévenance et de tendresse entre eux. Des embrassades mâles ne cessent de claquer sur les dos et les épaules, cependant qu’ils s’évertuent à incarner leur représentation de la virilité.

À l’inverse, les amours semblent impossibles chez les jeunes révolutionnaires, qui osent à peine se toucher parce que « rien n’est moins subversif que le sexe ». Ils ne semblent pas avoir d’activité autre que leur cause. Surtout, ils ne s’imaginent pas d’avenir, quand les policiers parlent maison, jardin…

Tout sépare ces deux pans de la jeunesse israélienne. « Policiers, vous n’êtes pas nos ennemis. Policiers, vous aussi êtes opprimés » , leur crie la jeune Shira (Yaara Pelzig). Message qui fait ricaner en face. Seuls points communs : le pays, l’âge, et les armes, omniprésentes de part et d’autre, comme pour signifier la violence qui ronge ces jeunes, quel que soit leur statut. Des armes brandies comme des sexes, si ce n’est à leur place.

À l’image, les deux groupes ne subissent pas le même traitement. Les révolutionnaires sont filmés nerveusement, dans l’agitation qui les anime, que ce soit dans la campagne où ils s’entraînent à tirer, dans le bar où Shira passe sa dernière nuit avant l’action, ou dans l’appartement où ils écrivent leur déclaration publique quand le beau leader (Michaël Aloni) doit s’allonger, en proie à un malaise. Tout en eux est tension et renoncement. Alors que Yaron, le personnage principal de policier (Yiftach Klein) va de sa femme à la plage, profitant de la vie. Si ce n’était le cancer de son copain Ariel et un procès en cours, il ne serait qu’assurance et décontraction, bien assis dans sa mission.

Reste que, tout le temps, le danger transpire. Deux coups de feu dans une voiture, une autre démolie par des petits punks, et ce cancer quasi métaphorique. « Si Ariel a une tumeur, c’est fini » , tranche la femme enceinte en posant la main du futur père sur son ventre. Ces noces entre l’extrême violence de ce qu’elle vient de dire et la douceur de son geste créent un contraste insupportable. Celle qui va donner la vie condamne. Tous beaux et tous meurtriers. Prêts à mourir et prêts à tuer.

Cinéma
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