Les embrigadistes
dans l’hebdo N° 1195 Acheter ce numéro
Après qu’un terroriste (le même, peut-être, qui ces derniers jours a déjà abattu dans la même région trois soldats, dont deux « d’origine maghrébine ») a tué ce matin des enfants d’une école juive de Toulouse, Ivan Rioufol, bloc-noteur chez le Figaro, a mis sur son blog un billet pour narrer que « cet acte extrême » , qu’il n’attribue à personne en particulier (car il est bien obligé de constater que « rien ne permet de privilégier une piste plus qu’une autre » ), mais dont il relève qu’il vient après l’assassinat de militaires « ayant opéré en Afghanistan [^2] », est de son point de vue « le produit d’un environnement, d’un conditionnement, d’un embrigadement » .
Lisant cela, je me suis dit que j’étais, pour une fois (n’est pas coutume), en complet accord avec Ivan Rioufol.
Car en effet : cela fait maintenant plus d’années que nous n’en pouvons compter sur les seuls doigts de nos deux mains (puisque ç’a commencé en 2000, quand de raffinés penseurs de télévision[^3] nous ont pour la première fois présenté qu’il n’était nullement raciste, par exemple [qu’allions-nous imaginer là], de déplorer qu’il y ait dans certain horaire trop de juifs à l’antenne d’une radio publique, mais que l’expression d’une telle doléance relevait plutôt d’un estimable anticonformisme) – plus d’années que nous n’en pouvons compter sur les seuls doigts de nos deux mains, disais-je, que des clercs d’époque, lovés dans les chauds creux médiatiques où leur iconoclasme leur a fait de conséquentes rentes d’image, vont répétant urbi et orbi, et du matin au soir, et jusqu’à des heures assez avancées (puisqu’ils se produisent aussi aux talk-shows où se fabrique le consentement), qu’il n’est plus du tout supportable qu’on ne puisse pas librement compter les juifs dans les médias, ou s’offusquer de ce que les Noirs soient (eux aussi) si nombreux dans certains recoins sociaux, ou (principalement) pointer que les Arabo-musulmans se reproduisent si fort et si vite que nous serons bientôt ceint(e)s de mosquées halal, et qu’en somme on peut plus rien dire, mâme Dupont, depuis que les keufs de l’antiracisme policier font régner partout la tyrannie de la bien-pensance.
Adoncques : j’étais tout près de penser, comme Ivan Rioufol, qu’il n’est en effet guère étonnant qu’après toutes ces années où une logorrhée haineuse nous a été présentée (sous le sacro-saint sceau de la liberté de penser) comme la courageuse formulation d’opinions follement audacieuses, d’ignobles brutes, quelles qu’elles soient, passent des mots aux actes, et tuent ceux que d’autres s’étaient contentés de compter.
Las : je m’aperçois que l’ « environnement » que dénonce Ivan Rioufol est en réalité celui de ce qu’il appelle « les discours de vivre-ensemble » – et qu’il suggère plutôt que l’antiracisme « pourrait s’interroger sur sa propre responsabilité dans la mise en scène des concurrences victimaires » .
Je te laisse conclure : j’ai plus de place.
[^2]: De sorte que, futé(e) comme t’es, tu comprends qu’Ivan Rioufol privilégie quand même un peu la piste djihadiste.
[^3]: Qu’Ivan Rioufol n’hait point (du tout), puisqu’aussi bien leur prose fait parfois référence dans sa propre production.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.