Sarkozy en position de force

Les tueries de Toulouse et de Montauban devraient servir les intérêts du président-candidat, qui s’est empressé
de saisir l’occasion de se poser en père protecteur de la nation. Mais il n’est pas sûr que l’opinion ait été dupe.

Pauline Graulle  • 29 mars 2012 abonné·es

Mercredi 21 mars : premier jour du printemps, premier jour de la campagne officielle. Du moins si l’on en croit le calendrier électoral. Car cet acte commence étrangement par une parenthèse. Le moment le plus intense des débats débute par une «  trêve  ». Au nom du respect pour les familles des sept victimes des tueries de Toulouse et de Montauban, au nom de la lutte contre le terrorisme, la politique n’a plus droit de cité. Pas de communication, pas de petites phrases. On a enterré la hache de guerre le temps d’inhumer les trois militaires assassinés par Mohamed Merah à Montauban.

Deux jours auparavant, François Hollande a donné le ton, en annulant meetings et show télé. Sur une idée de Nathalie Kosciusko-Morizet, le candidat de l’UMP, quant à lui, affiche sur son site une phrase unique sur fond bleu sombre : « Face à la tragédie nationale que nous vivons, je suspends ma participation à la campagne présidentielle au moins jusqu’à mercredi. Nicolas Sarkozy. »

Et de fait, ce mercredi après-midi, en direct sur BFM TV, c’est le président de la République, pas le candidat de l’UMP, qui se tient, seul et silencieux, devant trois cercueils recouverts de linceuls bleu-blanc-rouge. « Le chef de l’État a été personnellement bouleversé… Il a les larmes aux yeux. On a beau être président, homme politique, on n’en conserve pas moins une dimension humaine » , commente un journaliste en plateau.

Bien sûr, personne n’est dupe de ce « sous-jeu » politique. Tout le monde sait que la bataille continue de faire rage en sourdine. La preuve, à quelques mètres du Président recueilli, les caméras de BFM montrent une autre scène : dans la cour d’honneur venteuse, agglutinés sous une tente en plastique et masqués par une brochette de ministres, voilà cinq candidats à la présidentielle pris au piège. Condamnés à n’être que les spectateurs passifs du tour de force politique qu’est en train de réaliser leur adversaire.

À part Jean-Luc Mélenchon, qui s’est payé le luxe de rester à l’écart de ce jeu pipé de « l’union sacrée » , tous ceux qui comptent sont présents : Eva Joly, Marine Le Pen, François Hollande, François Bayrou, Nicolas Dupont-Aignan. Certains flanqués de leurs communicants – Manuel Valls pour Hollande, Alain Vizier pour Le Pen. La situation en est presque grotesque. Eux qui n’ont pas la chance, comme Nicolas Sarkozy, de se prévaloir d’une autre casquette que celle de candidat, que diable font-ils là si la campagne est suspendue ?

Elle reprendra bien vite ses droits. Quelques minutes après la clôture de la cérémonie par le « président Sarkozy » , Valérie Rosso-Debord, envoyée au front par le « candidat Sarkozy » , balance un communiqué de presse pour dénoncer l’«  instrumentalisation » du drame par Hollande et Le Pen « à leur petit profit politicien » . Le lendemain, Jean-François Copé, l’autre « petit télégraphiste de Nicolas Sarkozy » (dixit les lieutenants « hollandais ») récidive, les accusant de n’avoir pas respecté « le temps du deuil ». Qu’importe si l’accusateur fait exactement ce dont il accuse le candidat socialiste… La politique est de retour. Mais la démocratie ?

Une semaine a passé depuis le 21 mars. On ignore encore dans quelle mesure les tueries de Toulouse et de Montauban influenceront le reste de la campagne. Mais une conviction demeure : malgré les saillies belliqueuses de Marine Le Pen, le positionnement astucieux de Jean-Luc Mélenchon ou l’appel bienvenu à la modération de François Hollande – bien obligé néanmoins de rester « dans la roue » de son adversaire pour tenter d’être à la hauteur de la fonction –, le vainqueur par K.-O. de ce fait divers transmuté en fait politique n’est autre que le président sortant.

Vendredi 23 mars, selon un sondage BVA, celui-ci avait déjà gagné deux points dans les intentions de vote au deuxième tour du scrutin présidentiel.

L’affaire de Toulouse « profite évidemment à Sarkozy » , confiait le même jour au Figaro un proche du candidat. Autre signe du réconfort de la majorité, encore inquiète des débuts ratés de la campagne, les applaudissements nourris, comme revigorés, des troupes militantes samedi, à Rueil-Malmaison, après le discours offensif de leur champion sur « l’immigration non contrôlée » . Et puis il y a aussi ces apartés de Nicolas Sarkozy : en marge de ses représentations publiques, il ne manque jamais une occasion de se vanter – on ne se refait pas ! – d’avoir reçu un coup de fil de félicitations de Barack Obama sur la manière dont il a géré la crise…

C’est surtout pour son utilisation politique du drame et de ses corollaires qu’il aurait pu être congratulé. Reléguant son opposant socialiste, pourtant toujours donné vainqueur dans les sondages, au même plan – sous cette satanée tente ! – que les seconds couteaux, le candidat de la droite a su habilement prendre appui sur cette séquence de « non-campagne » pour apparaître au-dessus de la mêlée. « La prétendue suspension de la campagne […] a permis de substituer au débat politique le monologue sarkozyste, la puissance de sidération des images, le feuilleton du vide télévisuel, la captation en boucle des attentions » , analyse Christian Salmon, auteur de Storytelling (La Découverte, 2007), dans une interview donnée au site Marianne2.fr.

Oubliés, la crise et le mauvais bilan économique et social du quinquennat ! Oubliés, les incidents de Bayonne ! Oublié, le « président des riches »  ! Oubliée, l’analyse à froid de la situation ! L’émotion est reine. Il faut en faire vibrer la corde le plus longtemps possible.

Et cela tombe bien : pendant une semaine entière, Sarkozy a été seul maître du temps médiatique et politique. Dix jours d’une traque angoissante du « tueur » ont remis en selle le candidat « premier flic de France » (il a été partout, avant tout le monde). Ils lui ont même offert de revêtir un costume qu’il n’avait jamais réussi à remplir tout à fait : celui du père protecteur de la nation.

Jusqu’à ce mercredi 21 mars, point culminant d’un siège de 32 heures de Mohamed Merah par le Raid. Une attente narrée minute par minute par les médias, et volontairement entretenue par le pouvoir. Celui-ci a fait le choix d’un assaut tardif, confie un proche du président : « M. Guéant propose au cours de cette journée un assaut rapide, Nicolas Sarkozy n’en veut pas [^2]. »

Il lui fallait le temps de montrer son «  courage  » (pour reprendre le mot-clé de sa campagne) en se rendant aux alentours de 15 heures, suivi des caméras de télé, aux abords de l’appartement où Mohamed Merah était retranché, armé jusqu’aux dents. Un petit «  crochet  », bon prétexte pour faire attendre dans le froid les cinq candidats déjà sur les lieux de la cérémonie de Montauban. Mais aussi pour ouvrir un boulevard aux apparitions répétées du ministre de l’Intérieur sur des chaînes d’info en continu, si avides d’information qu’elles diffusent, sans filtre, la communication gouvernementale…

L’émotion entretenue en boucle, le deuxième temps de la fusée sarkozyste peut décoller : après un drame, dégainer illico une loi, fût-elle irréaliste ou absurde. Ce que le président-candidat fait le jeudi 22 mars, en annonçant la création d’un « nouveau délit : la propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes, qui figurera dans le code pénal » , mais aussi l’interdiction de consulter des sites Internet dits «  terroristes  ».

C’est que le drame a remis au centre des débats la thématique sécuritaire. Sarkozy connaît bien cet excellent tremplin pour aller chercher les électeurs d’extrême droite et les catégories d’âge les plus élevées. Mais cette fois-ci, le fin stratège s’emploie aussi à rameuter les gaullistes. Devant la violence de Marine Le Pen, qui, dimanche, en meeting près de Nantes, déchaînait sa haine de l’étranger dans un discours tout entier consacré à l’affaire, Sarkozy feint de s’indigner : « Dire “immigration égale Mohamed Merah, qui est né en France”, cela n’a aucun sens. […] Dès qu’il y a quelque chose d’outrancier à dire, on peut compter sur Marine Le Pen. » Le candidat a fait coup double, mettant de l’eau dans le vin qu’il a lui-même versé…

On pensait la méthode Sarkozy usée jusqu’à la corde. La voici réactivée au détour d’un drame national, démontrant toute sa nocivité pour une démocratie instrumentalisée, foulée aux pieds, puis oubliée. Mais l’effet sera-t-il significatif et durable ? Une semaine après la tragédie, rien n’est moins sûr.

[^2]: Blog L’Élysée côté jardin, du journaliste du Monde Arnaud Leparmentier, 22 mars.

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Après Toulouse, la récupération
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