Sida : trente ans de peurs et de victoires
Récit d’un journaliste militant et d’un médecin sur une épopée tragique mais combative.
dans l’hebdo N° 1195 Acheter ce numéro
Un livre à quatre mains, chacun des deux auteurs intervenant par de courts textes entremêlés. Écrit par deux acteurs majeurs de la lutte contre le sida en France, qui se retournent ici sur trente années d’épidémie et de combats, de morts, de souffrances, mais aussi d’espoirs et de victoires. Victoires toujours en demi-teintes, car la pandémie apparue au début des années 1980 a déjà fait plus de trente millions de morts. Mais victoires néanmoins grâce à l’avancée des recherches et aux combats des militants, qui ont accéléré l’accès aux antirétroviraux contre les habitudes de Big Pharma (comme on appelle les grandes multinationales pharmaceutiques aux États-Unis) et permis de faire pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils prennent dans l’urgence certaines mesures, comme l’accès aux seringues pour les usagers de drogues, et soutiennent la recherche médicale.
Fondateur d’Act Up-Paris, l’association française de lutte contre le sida la plus radicale et la plus inventive, et du mensuel gay Têtu, figure de la communauté homosexuelle française et journaliste, séropositif depuis 1986, Didier Lestrade avait déjà raconté dans son superbe Act Up, une histoire (1) son expérience de militant malade. Il reprend cette fois l’histoire de la maladie depuis son apparition, d’abord qualifiée de « cancer gay » au début de la décennie 1980 et objet de tous les fantasmes, son déni puis la peur panique qu’elle provoque au sein de la communauté gay, jusqu’à l’arrivée des trithérapies, avec leurs terribles effets secondaires au début. Médecin infectiologue à l’hôpital Tenon de Paris, longtemps journaliste médical à Libération, aujourd’hui rédacteur-en-chef du site www.vih.org et de la revue spécialisée Swaps, séronégatif, Gilles Pialoux raconte son « patient zéro » (à lui) – lorsqu’il voit arriver le 10 juin 1983 dans son service à l’hôpital (alors celui de Créteil) un ancien officier de l’armée française, probablement contaminé par des relations tarifées en Afrique, où il a longtemps été en poste – et relate les premières recherches, le concours des associations de malades, la découverte du virus à l’Institut Pasteur et les affrontements entre chercheurs.
Le livre fourmille d’anecdotes et raconte cette maladie qui a révolutionné la virologie mais aussi les rapports médecin/patient, laboratoires/médecins/malades, ceux entre la communauté scientifique, les personnes infectées et l’industrie. Les deux auteurs expliquent pourquoi « nous sommes entrés dans le sida 2.0 », quand l’information est partout et immédiatement disponible, et s’interrogent sur les possibilités à terme de guérison complète. Il faudra certainement encore du temps.