Un marché de dupes

Nicolas Sarkozy propose que les professeurs fassent plus d’heures pour gagner plus. Ignorant qu’ils sont déjà débordés.

Ingrid Merckx  • 8 mars 2012 abonné·es

Illustration - Un marché de dupes

«Qui osera dire qu’il n’y a pas besoin de davantage d’adultes auprès des enfants ? » Personne. Il est fort, Nicolas Sarkozy. Il fait semblant de chasser sur les terres de la gauche pour faire passer une nouvelle mesure à droite. Les enfants ont besoin d’adultes ? Les enseignants ont besoin d’argent ? Il propose d’augmenter le temps de présence des enseignants en collège et lycée, et donc leur salaire.

D’une pierre trois coups : les élèves seront davantage encadrés en dehors des heures de classe ; les profs volontaires pourront décrocher 25 % de salaire en plus (500 euros) ; cette solution permettra de régler ces deux problèmes sans toucher à la règle immuable du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. C’est le fameux « Travailler plus pour gagner plus » appliqué à une profession dont Nicolas Sarkozy a toujours sous-entendu qu’elle ne travaillait pas « assez » .

Le rapport Pochard, remis le 4 février 2008, proposait déjà de « revaloriser la condition enseignante » en annualisant le temps de service et augmentant le service hebdomadaire de 18 heures à 22 heures. On parlait déjà de «  flexiprofs  » et de profs «  multitâches  » ou «  multifonctions  ». Comme des couteaux suisses : deux heures de français, deux de maths, deux d’orientation et deux de surveillance… Les profs ne sont plus des enseignants, ce sont «  des adultes  ».

En 2012, Nicolas Sarkozy propose aux enseignants du second degré de passer de 18 heures de cours à 26 heures de présence dans les établissements. « Comme leurs collègues du premier degré » , a-t-il précisé. Sauf que le temps de travail hebdomadaire moyen des enseignants s’élève déjà à 40 heures, dont vingt hors classe (une notamment pour le suivi des élèves, une autre avec les parents, plus de deux heures avec les autres enseignants, sans oublier le temps variable consacré à la préparation des cours, la ­correction des copies… Sans compter les heures sup effectuées par choix ou contrainte. « Le discours sur le temps de présence, outre qu’il constitue un marché de dupes (44 % de temps de présence en plus, 25 % de salaire en plus), a pour objet politique de jouer les parents contre les enseignants, la société contre son école » , fustige le Snes-FSU. Et les profs entre eux, en opposant premier et second degrés ou en les fondant, suggérant qu’il pourrait y avoir un statut unique passant d’une matière à l’autre, d’un degré à l’autre…

« Je fais le choix de moins d’enseignants, mieux rémunérés » , martèle le Président pour s’opposer à François Hollande qui défend l’embauche de 60 000 fonctionnaires, réservés en priorité au primaire et aux établissements difficiles. La main sur le cœur, Nicolas Sarkozy : « Les enfants ont besoin d’une épaule sur laquelle s’appuyer » et « nous aurons mis fin à la paupérisation des enseignants » . Sans rien changer puisque cela se ferait sur la base du volontariat, et que, temps de crise oblige, il y aura forcément des volontaires. Il est fort, Nicolas Sarkozy. Mais si plus de 13 % des enseignants venaient à répondre à cet appel, la proposition pourrait se retourner contre lui et coûter de l’argent…

Gagner plus fait-il au moins partie des revendications ? Certes, personne n’est contre, mais travailler plus dans de mauvaises conditions ? « Un bureau individuel par enseignant ! Pour qu’il puisse recevoir ses élèves au calme, corriger ses copies tranquillement… » , a appâté Nicolas Sarkozy quelques jours plus tard sur France Inter. Au Snes, ça les fait rigoler : « Il faudrait construire deux millions de mètres carrés rien que pour le second degré alors qu’on manque d’espaces de travail même collectifs, de parcs informatiques… »

Plus de présence adulte ? Nicolas Sarkozy a supprimé 70 000 postes dans l’Éducation nationale depuis 2007, laissant des classes sans prof. En 2012, 5 700 postes vont disparaître également dans le premier degré (alors que Nicolas Sarkozy avait dit qu’il ne toucherait pas à la maternelle), 2 000 Rased, 846 remplaçants, 100 maîtres-formateurs, 143 conseillers pédagogiques, 460 postes de soutien en éducation prioritaire… « L’éducation doit être notre priorité ! » , a-t-il assuré.

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