Des chômeurs livrés au privé

L’efficacité des organismes privés de placement des demandeurs d’emploi est de plus en plus contestée. À Pôle emploi, face à cela, on tente de maintenir un suivi sérieux des dossiers. Témoignages.

Sarah Sudre  • 5 avril 2012 abonné·es

«L’accueil y est chaleureux. Les locaux sont colorés. Café ou thé ? L’angoisse d’être chômeur s’en va. Foutaises ! La rencontre avec le salarié, au sourire hypocrite malgré lui, te rappelle ta situation précaire. Son discours débité rapidement te laisse sans voix. J’ai mal vécu cet accompagnement », témoigne Christophe [^2], 40 ans, serveur dans le restaurant d’un hôtel, orienté par Pôle emploi dans un organisme privé de placement de chômeurs en Île-de-France. Le résultat est souvent « désastreux pour le privé comme pour le public », ajoute Sylvette Uzan-Chomat, membre du bureau national du SNU-FSU et conseillère à Pôle emploi. Avec le collectif Autres Chiffres du chômage (ACDC), cette syndicaliste a dressé un bilan des organismes privés de placement de chômeurs [^3], qui révèle une « efficacité moindre comparée au service public de l’emploi ».

Les chômeurs, des privilégiés ? 37 euros en moyenne par jour, c’est l’indemnité versée par l’assurance-chômage aux demandeurs d’emploi. Ce montant est proche du seuil de pauvreté, 32 euros par jour, calculé par l’Insee. Ce chiffre provient du rapport sur l’état du chômage en 2011, publié jeudi 5 avril par le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP). Cette association entend ainsi mettre fin au discours selon lequel « les chômeurs sont des privilégiés ». Les demandeurs d’emploi indemnisés par l’assurance-chômage, les allocataires des régimes de solidarité ainsi que les travailleurs précaires sont plus de 6 millions à toucher moins de 750 euros par mois. Le rapport fait également état des ressources journalières de Jean-Paul Agon (PDG de L’Oréal) : 29 200 euros  !

S.S.

Depuis 2008, à la suite de la fusion entre l’ANPE et les Assedic, Pôle emploi « a vite été débordé », explique Sylvette Uzan-Chomat. Puis la crise économique et sociale s’est installée, le chiffre du chômage a gonflé, jusqu’à atteindre 5 millions de demandeurs d’emploi. La « solution miracle » trouvée par le gouvernement a été de sous-traiter avec le privé pour soulager Pôle emploi, ce que déplore la syndicaliste du SNU, qui y voit un désengagement de l’État au profit d’une logique libérale du placement des chômeurs. Ainsi, de 2009 à 2011, plus de 350 000 chômeurs ont eu recours à des organismes privés, tels qu’Ingeus ou Adecco, indique la note du collectif ACDC.
« Je me suis senti trahi par Pôle emploi. Cela faisait trois ans que j’y allais. Un jour, j’ai reçu une convocation qui m’expliquait que Pôle emploi avait donné mon dossier à un organisme privé. Dorénavant, je devais traiter avec lui », raconte Christophe. En ­réalité, selon Sylvette Uzan-Chomat, c’est une « collaboration forcée », résultant des pressions subies par les salariés de Pôle emploi pour atteindre des « quotas ».

« On passe du temps avec ces personnes. On entre dans leur vie privée. C’est difficile d’abandonner des dossiers. Je peux comprendre leur frustration », se plaint Sonia, salariée de Pôle emploi à Champigny-sur-Marne.
Les opérateurs privés de placement de chômeurs font du chiffre. Les organismes privés, vus comme « des machines à fric », travaillent dans une logique de marché, explique Sylvette Uzan-Chomat. Ils placent leurs chômeurs en CDD car c’est plus facile. Ils privilégient les plus flexibles, jeunes, femmes, diplômés… « Ces organismes procèdent à un écrémage des demandeurs d’emploi puisque leurs rémunérations, versées par Pôle emploi, sont partiellement indexées sur leurs résultats en matière de retour à l’emploi », craint la syndicaliste.

Le secteur privé reçoit environ 2 000 euros par client ayant retrouvé un emploi dans un délai de 3 à 6 mois. Ce qui explique que les retours à l’emploi en CDD sont plus nombreux dans le privé (35 %) que dans le public (33 %), précise la note du collectif ACDC. « On ne me propose que des CDD. Je ne peux pas me projeter dans l’avenir. À chaque fin de contrat, je reviens à la case départ. C’est infernal », intervient Patrick, étudiant en histoire, placé dans un organisme privé.

Toujours pour Sylvette Uzan-Chomat, « les conseillers du privé sont en CDD et sans grande expérience. Ils exercent un travail pénible dû à un turn-over incessant ». Or, selon le rapport européen sur les politiques publiques de l’emploi [^4], « le succès de l’accompagnement tient à la pratique du conseiller, c’est-à-dire à sa bonne connaissance du bassin d’emploi local ; à sa capacité à mobiliser des aides utiles pour le chômeur ». « Une manière de faire que tente de préserver Pôle emploi », précise Joëlle Moreau, responsable d’Agir ensemble contre le chômage (AC !) en Gironde.

« À Pôle emploi, les salariés sont en CDI et ont une formation. Ils connaissent bien les entreprises locales », ajoute cette militante. Le service public de l’emploi joue, malgré le manque de moyens, la carte de la stabilité professionnelle face au privé qui précarise. « Il est fondamental d’appliquer un suivi social au fil de l’évolution de carrière du chômeur. », précise Sylvette Uzan-Chomat. Tiffany Herauto, jeune mère de famille qui cherche une formation de secrétaire depuis trois mois à Pôle emploi, confirme : « Une conseillère me suit depuis le début. En un mois, elle m’a proposé trois offres d’emploi. Je m’entretiens avec elle au téléphone ou sur place. En revanche, il faut toujours répondre présent, au risque d’être radié de Pôle emploi. »
Le secteur privé est donc pointé du doigt pour ses résultats médiocres. Pour autant, Pôle emploi n’est pas le paradis, loin de là, n’arrivant pas à faire face à la « souffrance financière et sociale extrême des chômeurs, causée par une politique d’austérité qui détériore également le service public en général ».
Sarah Sudre

[^2]: Les prénoms des personnes citées ont été modifiés.

[^3]: Note n° 9 du collectif ACDC, février 2012.

[^4]: Rapport d’information n° 4098, déposé au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques : performances comparées des politiques sociales en Europe.

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