Didier Porte, rire en masses

Sur scène au théâtre Déjazet, jusqu’au 28 avril, l’humoriste s’empare de la présidentielle. Cinglant et efficace.

Jean-Claude Renard  • 19 avril 2012
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Forcément, pour un humoriste à la trempe certaine, une présidentielle, ça émoustille. A fortiori quand, deux ans auparavant, ce même humoriste a perdu sa place de chroniqueur matinalier sur France Inter pour cause d’incompatibilité d’humour avec la direction. Entendons, d’humour et d’humeur politique.

À se rappeler les chroniques de Didier Porte sur Inter, ou à les relire (elles sont pour beaucoup éditées sous forme de recueils), le spectateur imagine combien est grande pour lui la frustration d’être privé de campagne électorale – l’incorrigible officie quand même de façon hebdomadaire à « Arrêt sur images », Mediapart et RTL (chez Stéphane Bern, rare soutien à la Maison ronde).

Voici donc sur scène Didier Porte, couvrant le premier et l’entre-deux tours. Il y a chez lui un indéniable côté Lagardère, celui de Paul Féval. « Si tu ne viens pas à Lagardère… » On connaît la suite : plutôt triomphale, plutôt heureuse. Et Didier Porte de se donner en spectacle. Pas n’importe où, mais au Déjazet : l’antre d’un théâtre libertaire au mitan du XIXe siècle, où Carné tourna des scènes des Enfants du Paradis et où, plus tard, se sont produits Coluche, Ferré, Moustaki, Nougaro… Il existe pires références. Et même un brin de piquante curiosité quand on sait que Font et Val y jouaient aussi.
Didier Porte n’en est pas à son premier spectacle. Titulaire d’une maîtrise en sciences économiques, ancien journaliste à la Dépêche du Midi et au Matin de Paris, il a souvent été locataire du Café de la Gare. Après « Didier Porte aime les gens », il a enchaîné avec « Didier Porte fait rire les masses », spectacle éprouvé au dernier festival d’Avignon. Actualité oblige, il en a tout changé, sauf le titre. Avec une lecture politique cinglante, lucide.

Au commencement, sous forme de voix off, un clin d’œil à François Morel, cet autre chroniqueur matutinal d’Inter. Puis une interrogation existentielle : que diable un parterre si fourni pour cézigue, parterre constitué principalement de « profs chevènementistes » ?… au point de donner le sentiment non pas « d’être sur scène, mais au tableau », voire « au piquet ». Il prévient : il a « banni les traditionnels rappels de [ses] spectacles… par phobie du redoublement ». Cela dit, Porte reste conscient d’avoir renversé les rôles : 700 profs (capacité de la salle) « pour un seul élève, un adhérent à la FSU, c’est un fantasme aussi excitant que 70 vierges pour un djihadiste ! ».

Bon, bref. Trêve de plaisanterie.Rions mieux. Rions politique. Et Porte d’y aller ferme. Sur un bilan et une équipe : « Dix années d’omni-sarkozysme dont on retiendra deux mots, Karcher et Täser » ; la chasse « aux romanichels » ; Christine Boutin, « dont chaque apparition nous démontre que l’amour pour le Seigneur n’est pas toujours réciproque » ; Brice Hortefeux se refusant à publier le chiffre des voitures incendiées à la Saint-Sylvestre, par crainte d’un « caractère incitatif ». Dans cet esprit, Didier Porte propose d’en finir avec les statistiques du chômage, constituant « de toute évidence une incitation à se faire licencier ».
Il s’amuse d’un « monsieur Guéant siphonnant les voix du FN », attentif aux mots comme aux sens : « Si on cherche à en siphonner trop d’un seul coup, le siphon se bouche. Les idées remontent à la surface, et ça pue ! » Paroles d’un plombier littéraire engagé.

Se bousculent ensuite le comité de soutien de Sarkozy en 2002, un journal intime de Marine Le Pen, BHL pilotant les bombardements sur la Libye « depuis son quartier général, le premier étage du Café de Flore », l’espoir de « voir les socialistes redevenir de gauche ». Avant de réclamer un « prolothon » à Laurence Ferrari, façon Téléthon, « avec des ouvriers à la place des handicapés »… Didier Porte ne pouvait pas échapper à la campagne électorale. Mais à sa manière, irrévérencieuse. Ça soulage.

Culture
Temps de lecture : 4 minutes
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