Faut-il légaliser l’euthanasie ?
La loi Leonetti suffit-elle à encadrer la fin de vie ? Oui, estime Anne Richard, pour qui il faut renforcer la formation des professionnels.
Non, selon Jean-Luc Romero, favorable à une loi fondée sur la volonté des personnes.
dans l’hebdo N° 1198 Acheter ce numéro
Tous les citoyens sont concernés par la mort. Cependant, ce que l’on dit lorsqu’on est bien portant n’est plus ce que l’on dit lorsqu’on est atteint d’une maladie grave qui va nous faire mourir dans les jours qui viennent. Des personnes se déclarant pour l’euthanasie lorsqu’elles sont interviewées ne le sont plus lorsqu’elles sont proches de la mort et qu’elles sont bien soulagées et accompagnées.
Ces mêmes personnes peuvent réclamer de mourir un matin (à cause des douleurs, une désespérance, le sentiment d’être un poids pour les autres ou d’une vie qui n’a plus de sens…) et faire des projets de vie quelques heures plus tard. Tous les professionnels formés et les bénévoles d’accompagnement peuvent témoigner de cette ambivalence et de l’attachement à la vie qui demeure dans l’immense majorité des cas. Notre expérience nous rend donc prudents dans ce débat.
Je lis beaucoup d’expressions fausses ou floues. Tout d’abord, l’euthanasie « passive » ne veut rien dire. Par définition, l’euthanasie est un geste actif qui provoque la mort pour soulager une personne. Lorsque, à sa demande, nous arrêtons un traitement qui maintient artificiellement une personne en vie, nous continuons évidemment de la soigner, la soulager et l’accompagner avec l’aide de son entourage jusqu’à son décès.
Tout cela n’a rien de passif et n’a rien à voir avec l’euthanasie. C’est la poursuite des soins et l’application de la loi Leonetti en vigueur depuis 2005, qui oblige le médecin à respecter le malade dans ses décisions et à le soulager. « L’aide active à mourir » est donc une expression source de confusion. Toute ma vie, je me suis activée pour « aider » mes malades à mourir, sans « les faire mourir » pour autant.
Nous sommes donc contre la légalisation de l’euthanasie. Nous avons actuellement les moyens médicaux et juridiques de soulager toutes les douleurs, sans pour autant avoir besoin de provoquer la mort, en dehors de circonstances très exceptionnelles qui ne justifient pas une loi au regard des risques encourus par une telle loi. Provoquer la mort ne relève pas d’un travail médical ou soignant. Le soulagement de la douleur, l’arrêt des traitements inutiles ou disproportionnés, l’accompagnement relèvent du soin. L’euthanasie et le suicide assisté n’en relèvent pas. Il y a incompatibilité pour un soignant entre soins palliatifs et euthanasie.
La solution n’est donc pas de changer la loi au motif qu’elle serait mauvaise, mais de former les professionnels. Il faut du temps. La loi Leonetti est une loi d’avant-garde qui permet à la société de protéger les plus faibles autrement qu’en proposant de leur donner la mort. Tous les professionnels formés s’accordent à le dire.
Nous entendons ou lisons des contre-vérités insupportables à propos de cette loi. Dire que les personnes « meurent de faim et de soif » est une malhonnêteté. Les personnes meurent dans le cadre de l’évolution d’une maladie qu’on ne peut pas guérir et qui atteint un organe vital ou parce qu’on arrête une alimentation qui maintient artificiellement leur vie. Dans tous les cas, les personnes ne ressentent pas la sensation de faim, et la soif est supprimée par des traitements efficaces. En outre, dire que ce sont les médecins qui décident est une grossière erreur d’interprétation : cette loi oblige le médecin à respecter les souhaits du patient et à décider de manière collégiale.
Enfin, réclamer de mourir lorsque l’on souffre n’a rien d’un acte de liberté mais relève plus d’un acte de désespoir. Renforçons donc plutôt l’obligation de soulager la douleur, de développer les soins palliatifs et pénalisons les responsables d’acharnements thérapeutiques déraisonnables ou de non-soulagement de la douleur.
Pour notre association, la loi Leonetti est loin d’être suffisante. C’est une loi faite par et pour des médecins, qui ne met pas au centre la personne qui doit mourir. Elle conforte le pouvoir extrêmement important du médecin et, en face, le patient n’est pas, loin s’en faut, suffisamment entendu. Bernard Kouchner le redisait lui-même il y a peu : c’est la loi qui « laisse mourir de faim et de soif » !
Si la façon dont on applique la loi est parfois acceptable pour certains patients, elle peut être terrible pour d’autres, qui mettent jusqu’à trois semaines à mourir, sans qu’on les hydrate ni les alimente – ce qui est également terrible pour leurs proches. C’est bien pour cela que nous souhaitons une autre loi qui permette à la personne en fin de vie de pouvoir dire « halte » et de mourir après avoir dit au revoir à ses proches, sans souffrance aucune, en quelques minutes – et non pas en trois semaines.
La loi que nous voulons est vraiment une loi pour tout le monde. Une loi qui légaliserait l’euthanasie serait en effet une tout à fait républicaine. Elle se fonderait sur la liberté de celui qui veut mourir le plus tard possible. Je dis très clairement aux gens qui s’opposent à l’euthanasie qu’ils devraient préférer avoir une loi parce que la première condition est la volonté de la personne, et cela évite que l’on « aide » à mourir des personnes qui n’ont rien demandé.
On oublie trop souvent qu’aujourd’hui, en France, beaucoup d’euthanasies illégales sont pratiquées. Tant mieux lorsque cela advient par compassion, par des médecins qui entendent la personne. Mais cela peut aussi être réalisé par des soignants qui décident sans connaître l’avis de la personne, ce qui est inacceptable.
Cette loi reconnaîtrait la liberté des médecins prêts à aider une personne à mourir, tout en respectant aussi la liberté des médecins qui se refuseraient à le faire – de la même manière que la loi Veil de 1975 sur l’avortement reconnaît une clause de conscience pour les médecins. De telles clauses existent dans les lois de tous les pays qui ont légalisé l’euthanasie.
Ce serait aussi une loi d’égalité. En effet, aujourd’hui, si vous êtes dans certains milieux médicaux, vous obtiendrez d’être aidé à partir sans souffrance. Sauf que 99 % des Français n’ont pas cette chance. Et si vous avez de l’argent, vous pouvez aller en Suisse. Je remercie d’ailleurs les associations suisses qui accueillent des gens qui n’en peuvent plus de leur souffrance. Cependant, je ne souhaite pas personnellement fuir mon pays et devenir un paria pour aller mourir à l’étranger.
Enfin, ce serait une loi de solidarité, de fraternité, parce qu’aujourd’hui ce n’est pas vrai que l’on peut soulager toutes les douleurs. On soulage certes un grand nombre de souffrances physiques, mais, tous les ans, 5 000 personnes souffrent de douleurs réfractaires que rien n’apaise. Et puis il y a un grand nombre de souffrances psychiques que l’on ne soulage évidemment pas : quand ils sont à bout, beaucoup de gens se demandent pourquoi on les oblige à vivre ainsi leurs derniers jours.
Enfin, nous ne nous opposons absolument pas, au contraire, au développement des soins palliatifs. Mais quand on entend que la loi Leonetti n’est pas connue ou mal appliquée sept ans après son adoption, en dépit de nombreux articles, émissions ou sondages, cela signifie que c’est une mauvaise loi, ou une loi inadéquate aux situations qu’elle est censée traiter.