Les électeurs écolos en plein désarroi
Entre l’urgence de chasser Sarkozy, la faible campagne d’Eva Joly
et la conversion verte de Mélenchon, les sympathisants hésitent.
dans l’hebdo N° 1198 Acheter ce numéro
Ils et elles ne sont pas encartés mais votent spontanément écolo, « depuis toujours » parfois. À ce stade de la présidentielle, leur choix de cœur est rarement remis en cause. Pourtant, cette fois-ci, ils se sentent en plein désarroi, ils expriment de la déception et même de la colère devant les misérables 2 à 3 % d’intentions dont est créditée la candidate Europe Écologie-Les Verts (EELV).
Eva Joly en prend pour son grade. Dans le respect. « C’est une femme super, mais on ne la comprend pas », déplore Françoise, architecte à Marseille. « Elle est très respectable, j’aurais aimé voter pour elle, mais sa campagne patine totalement », constate Éric, photographe à Uzès. Léonard, médecin nantais, la trouve « sympa, mais pas à la hauteur ». Militante associative parisienne, Florence est même assez en colère, pas tant contre « elle et ses maladresses » que contre EELV, qui a très insuffisamment porté la campagne, juge-t-elle. « Joly, c’est devenu le vote inutile. »
Aucun ne boudera pourtant l’isoloir. Mais, pour la plupart, c’est devenu un vrai dilemme. Françoise ne sait pas quoi faire mais « n’a pas envie de changer de couleur ». Éditrice à Paris, Alice, catastrophée par « le niveau de déni des enjeux écologiques », se demande si elle ne va pas voter Hollande pour « être sûre de faire au moins barrage à Sarkozy ». En même temps, elle ne se résout pas à abandonner Eva Joly, car « c’est tellement rétrograde comment elle a été traitée par la classe politique et les médias, avec une telle condescendance parce qu’elle n’appartient pas au sérail ». Nina, journaliste à Paris, évoque des atermoiements identiques : « Mais voter selon mes convictions écolos m’apparaît égoïste quand j’imagine le sort des immigrés ou des sans-papiers confrontés à un nouveau mandat de Sarkozy. » Mélenchon la tente, mais elle trouve sa récente conviction écologiste un peu opportuniste.
Valentine, retraitée au minimum vieillesse à Ris-Orangis, n’a pas ces états d’âme. La déconfiture écolo lui fait « mal au cœur » mais l’essentiel c’est « tout sauf “lui” », donc Hollande contre Sarkozy. « Je n’ai pas envie de revivre 2002, l’horreur… » Elle avait voté pour la radicale de gauche Christiane Taubira, à qui le camp Jospin fera des reproches lors de l’éviction de celui-ci au second tour.
Maria, musicienne en région parisienne, est déterminée. Que Hollande soit donné avec constance vainqueur au second tour n’ébranle pas sa décision de l’appuyer dès le premier tour : « Je veux le placer le plus nettement possible devant Sarkozy. Il faut donner une leçon claire à celui-ci… » Étrangère à l’époque, elle a décidé, traumatisée par 2002, de demander la nationalité française afin de pouvoir voter.
Ces sympathisants écologistes penchent cependant majoritairement aujourd’hui vers Mélenchon. Le rassemblement de la Bastille en a fait basculer plus d’un. Permanent syndical à Bayonne, Gabriel est « à deux doigts » de voter pour le candidat du Front de gauche. Il considère qu’Eva Joly et EELV ont fait une faute politique en portant un discours trop généraliste. « Croient-ils avoir acquis définitivement leur public traditionnel ? Moi je vote pour l’écologie, pas pour EELV ! Et les formules chocs qui me touchent – la règle verte, la planification écologique, le renoncement au dogme de la croissance… –, je les entends dans la bouche de Mélenchon, pas de Joly. De plus, qu’un candidat parvienne à se faire comprendre des prolétaires, c’est très estimable. » Un dilemme, confesse-t-il, parce que le « bonapartisme et le jacobinisme » de Mélenchon sont quand même rédhibitoires aux yeux de ce défenseur du régionalisme et de la diversité culturelle.
Être adhérent de la coopérative d’EELV n’empêche pas Éric, d’Uzès, de choisir Mélenchon. « Désolé pour Joly, mais j’ai très envie qu’il se passe enfin quelque chose. Et je n’attends rien du Parti socialiste, centre-gauche mou. Avec Mélenchon, qui me semble écolo-compatible, je me sens parfaitement en accord avec mes convictions. »
Léonard, lui, fait même état d’une véritable conversion intérieure : « Je suis de plus en plus convaincu de l’imminence d’une crise sociale majeure, dont le nœud réside dans cet insupportable étranglement de la société par cette finance qui contribue intimement à la crise écologique. » Qu’EELV ait voté le traité de Lisbonne au nom de la construction européenne lui apparaît désormais comme une erreur grave, le texte ayant accru le pouvoir des banques. Le programme du Front de gauche l’a convaincu – « radical mais pas irréaliste comme celui du NPA » –, et il prête à Mélenchon l’étoffe de ceux qui peuvent dévier le cours néfaste de l’histoire.
Aline, artiste peintre à Montreuil, qui tire le diable par la queue, est déçue par Eva Joly, « certes énervée par plein de trucs chez Mélenchon, mais il tape dans le tas… » Elle rappellera quelques heures plus tard, en s’excusant presque. « En fait, j’ai réfléchi : bien sûr que je vais voter écolo ! »