Sous la menace Sarkopen

Forte poussée inquiétante du Front national, bon score de François Hollande, résurgence d’une force politique à la gauche de la gauche. Analyse des résultats électoraux.

Denis Sieffert  et  Michel Soudais  • 26 avril 2012 abonné·es

La politique de Nicolas Sarkozy aura décidément mis notre pays en péril plus gravement encore qu’on ne l’imaginait. On mesure aujourd’hui les effets politiques d’un quinquennat violemment antisocial qui a finalement contribué à renforcer en profondeur le Front national.

La campagne de premier tour menée par le président sortant a encore aggravé la situation. Les thématiques xénophobes développées, l’exploitation de l’affaire Merah, notamment, ont placé le FN sur un terrain favorable. Aujourd’hui, la menace « Sarkopen » est double. Pour le second tour d’abord. Comme il l’a manifesté dimanche soir, Sarkozy va poursuivre et accentuer la droitisation de son discours pour récupérer les électeurs de Marine Le Pen. Les velléités exprimées par lui lundi d’organiser pour le 1er Mai le rassemblement de « ceux qui travaillent dur » est de nature à générer dans Paris une atmosphère de type février 1934.

On aperçoit le péril créé par un personnage qui est prêt à aller au bout de sa logique mortifère. S’il parvenait à se faire élire – ce qui semble néanmoins peu probable –, il serait l’otage de l’extrême droite. On peut d’ailleurs imaginer que ce n’est pas seulement de sa part un calcul électoral, mais aussi l’expression de ses convictions profondes. S’il n’y parvient pas, il aura rapproché idéologiquement une partie de l’UMP du FN. À moyen terme, une recomposition de la droite sur un axe beaucoup plus extrémiste est envisageable. L’aventure Sarkozy n’est donc pas terminée.

Rebond du lepénisme. L’échec électoral de la droite parlementaire se traduit par une baisse de 12,7 millions de voix en 2007 (Sarkozy + Villiers + Nihous) à 10,4 millions (Sarkozy + Dupont-Aignan). Parallèlement, l’extrême droite est passée de 3,8 millions de voix à 6,4 millions (de 10,4 % à 17,9 %). Un score supérieur à 2002, où Jean-Marie Le Pen avait recueilli 5,5 millions de voix au second tour.

Le vote FN est également apparu plus homogène qu’en 2002. Il gagne du terrain dans l’Ouest, où il était traditionnellement faible (13,2 % en Bretagne). Il franchit la barre des 20 % dans 43 départements, contre 25 en 2002, année, si l’on ose dire, de référence.

Le discours de Marine Le Pen est fortement passé en zone rurale, notamment en raison de sa dénonciation de la disparition des services publics. Elle perce dans des régions comme le Limousin (15,3 % contre 10,3 % en 2002) et l’Auvergne (17 %). Elle obtient plus de 24 % des voix en Corse. Ce sont souvent des thématiques sociales qui ont permis cette progression, ce que ne peut évidemment pas reprendre Nicolas Sarkozy.

C’est dans le Vaucluse qu’elle recueille le plus de voix (27,03 %), mais aussi dans l’Aisne (26,33 %) et dans la Meuse (25,82 %). Dans ces derniers départements, elle s’implante dans des zones victimes de la désindustrialisation. C’est également le cas du Pas-de-Calais (25,53 %), département de sa commune d’élection, Hénin-Beaumont.
En revanche, Marine Le Pen est en échec dans les grandes villes : 6,2 % à Paris et 12,2 % en Île-de-France. Elle n’obtient que 9,8 % à Lyon, et 13,4 % à Lille. Elle connaît même des revers importants dans des banlieues : 13,55 % en Seine-Saint-Denis, 11,86 % dans le Val-de-Marne et 8,51 % dans les Hauts-de-Seine. On peut voir là le résultat de la bataille menée par le Front de gauche. Là où la question sociale a été disputée au FN sur d’autres bases, évidemment non xénophobes, le vote Le Pen a reflué.

Un front encourageant. La carte électorale du Front de gauche se lit parfois comme en creux de celle du FN. Jean-Luc Mélenchon a réalisé son meilleur score en Seine-Saint-Denis (16,99 %), et il obtient un très bon résultat, au-dessus de sa moyenne nationale (11,10 %), dans le Val-de-Marne (14 %). Il devance le FN dans l’Ariège (16,86 %) et les Hautes-Pyrénées (15,16 %). Au total, les résultats du Front de gauche seraient encourageants, s’ils n’étaient pas comparés à des intentions de vote publiées il y a quelques semaines qui situaient le vote Mélenchon à 15 %, ou plus.

Une stratégie qui se situe au croisement du social et de l’écologie est même plutôt validée. Reste à savoir comment les composantes du Front de gauche interpréteront ces résultats et si elles sauront consolider leur rassemblement tout en le faisant évoluer.

La gauche favorite. En attendant, le deuxième tour se présente sous de bons auspices pour François Hollande, qui a largement devancé le président sortant : 10 273 475 voix, soit 28,63 %, contre 9 754 324 voix (27,18 %) à son rival de droite. Les réserves de voix que pourrait convoiter Nicolas Sarkozy sont minces en raison d’une abstention (20,53 %) plus limitée que prévu. Par ailleurs, le bloc des gauches semble plus homogène que celui des droites. Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly, qui parvient à faire mieux que Dominique Voynet en 2007 (2,31 % contre 1,57 %), et Philippe Poutou ont appelé à voter Hollande le 6 mai.

Nicolas Sarkozy ne peut guère compter que sur un débauchage d’une partie de l’électorat de Marine Le Pen, alors que la direction du FN semble plutôt parier sur une défaite du président sortant.

Quant à François Bayrou, laminé par ce premier tour (9,13 %, soit la moitié de son électorat de 2007), il doit se prononcer après avoir interrogé les deux finalistes sur ses thèmes de prédilection, la résorption de la dette et les « valeurs ». L’épreuve risque d’être compliquée pour Sarkozy, qui devra contenter un électorat de droite modérée, d’origine démocrate-chrétienne, tout en racolant les voix du FN avec un discours à certains égards au moins aussi violent que celui de Marine Le Pen.

Mais un événement exogène peut toujours venir brouiller les pistes. On peut aussi se préparer à des assauts violents sur la personnalité du candidat socialiste, « faible » et « sans envergure ». L’offensive sur le thème des « trois débats » menée pour montrer la « couardise » de François Hollande n’a pas d’autre objectif.

Politique
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