Un arrêté qui fait du bruit
La modification de la circulation des avions en Île-de-France depuis novembre dernier a augmenté les nuisances sonores. Le Conseil d’État donne pourtant gain de cause au gouvernement.
dans l’hebdo N° 1200 Acheter ce numéro
À Cergy-Pontoise, à Conflans-Sainte-Honorine et dans les communes alentour du nord-ouest de l’Île-de-France, la colère est montée d’un cran depuis le 16 avril parmi les associations et les élus qui se battent contre les nuisances aériennes. Le Conseil d’État a en effet rejeté la demande de suspension du récent plan modifiant la trajectoire des avions à l’arrivée sur les aéroports d’Orly et de Roissy.
La ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, signait le 15 novembre dernier un arrêté destiné à réduire les nuisances sonores générées par les phases de descente : le relèvement, de 900 à 1 200 mètres, de l’altitude du palier d’approche, préconisé en 2007 par le Grenelle de l’environnement. « Nous avions tous applaudi », précise Philippe Houbard, président du Collectif interassociatif du refus des nuisances aériennes (Cirena).
Mais personne n’avait vu venir la transcription concrète de l’arrêté établie par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), qui instaure un allongement de cinq kilomètres des trajectoires d’approche. Désormais, par certaines conditions de vent, une zone de 300 000 habitants du Nord-Ouest francilien connaît un accroissement de 50 % des survols d’avions. Et les bruits dépassant le seuil de 65 décibels (dB), considéré comme « fatigant », ne gêneraient plus que 80 000 personnes au lieu de 200 000… mais le gain ne serait que de 2,5 dB en moyenne !
Imperceptible, relève le Cirena, qui fait mesurer le bruit au-dessus de Cergy : la fréquence des épisodes dépassant 62 dB aurait augmenté de 38 %. « On n’a fait que déplacer le problème, voire l’aggraver ! », estime Philippe Houbard.
Le Cirena a piloté un référé demandant au Conseil d’État la suspension de l’arrêté. À l’issue de deux audiences, le 7 février et le 30 mars, le rapporteur public s’est prononcé en faveur des plaignants, demandant un retour à la situation antérieure sous trois mois.
Pourtant – c’est rare –, le Conseil d’État a pris une décision contraire le 16 avril, au prix d’une contorsion édifiante : il émet des « doutes sérieux » quant à la légalité de l’arrêté, entaché d’irrégularités, et qui n’a pas tenu compte du résultat défavorable de la commission d’enquête publique, organisée en mars 2011 ; pourtant, la suspension de l’arrêté n’est pas prononcée, car elle « porterait à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité » !
Les demandeurs sont très remontés, soupçonnant des pressions importantes. En effet, le Conseil d’État a mis dix-sept jours (cinq fois plus que de coutume) pour rendre sa décision. Sa conclusion se plie aux arguments de la DGAC, qui présente un retour à la situation antérieure comme très complexe (vingt-quatre mois de délai et un blocage possible des aéroports franciliens pendant plusieurs jours !).
« Est-ce donc cela l’intérêt général que veut protéger le Conseil d’État ? De qui se moque-t-on ?, s’élève Philippe Houbard. Alors qu’il n’a fallu que deux jours, suite à l’arrêté, pour basculer sur le nouveau plan de circulation… Il était donc prêt de longue date, et le gouvernement s’est arrangé pour le forcer au mépris de l’enquête publique et de la légalité ! »
Un large panel d’associations et de municipalités a déjà entamé une procédure sur le fond auprès du Conseil d’État. Outre l’argument majeur de l’effet contre-productif en termes de nuisances sonores, s’ajoute l’aberration de la pollution et du CO2 émis par 22 000 tonnes de kérosène supplémentaires brûlés par an.
La DGAC et le gouvernement semblent esquiver soigneusement la solution la plus performante, pourtant réputée « à l’étude » depuis plus d’une décennie : la descente des appareils « en continu » (et non plus par paliers), qui s’opère à bas régime de réacteur (bruit et carburation). Plusieurs aéroports la pratiquent déjà dans le monde. Inconvénient : la gestion de la phase d’atterrissage est plus exigeante pour les pilotes et les contrôleurs aériens. La vraie raison du blocage ?