Aux sources du 1er-Mai du Front national: Georges Valois
Marine Le Pen conduit ce matin le désormais traditionnel défilé du Premier-mai du Front national. En l’honneur de Jeanne d’Arc, mais aussi du travail. A quand remonte cette manifestation ? Et que signifie-t-elle ? Petit rappel historique.
De la manifestation du Front national , il y a gros à parier que les médias retiendront surtout la consigne de vote que donnera Marine Le Pen, ce midi, dans son discours, place de l’Opéra. A l’occasion on parlera du « traditionnel défilé en l’honneur de Jeanne d’Arc » ou du soi-disant discours social que la présidente du FN adressera aux « travailleurs Français » (les autres, les étrangers, ce n’est pas son affaire). Mais sur l’origine de ce rendez-vous annuel, on ne saura rien. Son histoire et surtout la perpétuation de cette tradition frontiste mérite pourtant d’être rappelées. Elles relativisent quelque peu les poncifs sur le Front national nouveau et la dédiabolisation que conduit, paraît-il, Mme Le Pen.
C’est en 1988 que le Front national manifeste un Premier-mai pour la première fois. Auparavant, et depuis 1979, le parti de Jean-Marie Le Pen défilait en l’honneur de Jeanne d’Arc au milieu d’une bonne dizaine de formations politiques royalistes, nationalistes-révolutionnaires ou néo-fascistes, d’associations catholiques intégristes ou pétainistes. Cette grande parade du nationalisme extrême perpétuait[^2] l’hommage annuel à Jeanne d’Arc, que les Camelots du roi de l’Action française avaient imposé par la violence à partir de 1909.
Mais en 1988, ce traditionnel défilé organisé chaque année le deuxième dimanche de mai[^3], coïncide avec le second tour de l’élection présidentielle. Jean-Marie Le Pen qui était lui-même candidat [^4] et qui se trouve à la tête d’un groupe de 35 députés à l’Assemblée nationale, ne peut décemment pas prendre la tête d’une manifestation politique un jour d’élection. Il décide donc d’avancer « sa » fête de Jeanne d’Arc au dimanche précédent.
Le défilé, suivi cette année-là par quelques 30.000 militants et sympathisants, se prolonge par un rassemblement important dans les jardins des Tuileries où, sous la pluie, le leader d’extrême droite appelle avec beaucoup de réticences à voter pour Jacques Chirac contre François Mitterrand. Jean-Marie Le Pen s’y félicite aussi qu’ « une chance providentielle » ait permis ce rassemblement sous « le double égide » du travail et de la patrie.
Cette double fête, un homme politique en avait rêvé, soixante-et-un ans plus tôt. Georges Valois, aujourd’hui oublié, présidait Le Faisceau, le premier parti fasciste français, quand il écrivait dans Le Nouveau siècle , le journal de son mouvement, le 1er mai 1927 : « N’est-il pas incroyable que pour beaucoup de Français la fête de Jeanne d’Arc soit la fête de la ‘Réaction’ et pour d’autres Français celle du premier mai, soit la fête de la Révolution ? »
« Il n’est pas inutile de rappeler aux uns , poursuivait-il, que Jeanne d’Arc fut une grande travailleuse de France et aux autres que le travail n’est pas, ne pourra jamais être la marque d’une révolution destructrice… Il ne faudrait bas beaucoup de propagande, faite par un État digne de ce nom, pour arriver à fondre en une seule fête celle du premier mai et celle de Jeanne d’Arc. »
Le Front national, qui n’a jamais cessé depuis 1988 de fêter les deux ensemble, l’a exaucé.
Et à son tour Marine Le Pen perpétue aujourd’hui la tradition rêvée par un des pères du fascisme français.
[^2]: Et perpétue toujours, mais sans le FN.
[^3]: Selon une loi votée en juin 1920, un mois après la canonisation de Jeanne par le pape Benoît XV.
[^4]: Il a obtenu 14,4 % des suffrages au premier tour.
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