Comment le rock a changé l’Union soviétique

Une contre-culture avait émergé en URSS dans les années 1980. Retour sur une épopée mal connue.

Claude-Marie Vadrot  • 3 mai 2012 abonné·es

C’est une histoire peu connue : celle des groupes de rock qui ont commencé à secouer le conservatisme soviétique dès le début des années 1980, avant l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en 1985. Le mouvement naît à Saint-Pétersbourg, qui se nommait alors Leningrad. Le groupe Kino, dirigé par un Russo-Coréen, Viktor Tsoï, se produit discrètement dans quelques appartements, caves et cafés branchés de la ville, et connaît très vite un grand succès. Sur de mauvaises cassettes, les jeunes copient ses tubes, qui brocardent et bravent le régime finissant de Brejnev.

Dix ans plus tard, le pouvoir politique s’étant révélé incapable de maîtriser ce qui paraissait une « dégénérescence » aux vieux apparatchiks, Viktor Tsoï accueillera lui-même le groupe Noir Désir à Saint-Pétersbourg.
Au milieu des années 1980, les musiques « autorisées » par le Parti et les grands concerts encadrés par la milice, interdisant aux spectateurs de se lever pour manifester leur enthousiasme, n’empêchent pas les nouveaux rythmes et les paroles sacrilèges de déferler sur le pays. Cela fait alors déjà des années que Boris Grebenchikov, créateur du groupe Aquarium, également né à Leningrad, nargue les officiels en déjouant les interdictions de jouer et surtout de distiller des paroles subversives, mal dissimulées sous de nouveaux rythmes.

À Moscou, peu avant la Glasnost, un mauvais chanteur, Stas Namin (petit-fils d’Anastase Mikoyan, ancien président du Soviet suprême), qui avait reçu du Parti la tâche de canaliser le phénomène, est lui aussi rapidement dépassé, laissant les caciques communistes effarés devant l’explosion du nombre de groupes.

À cette même époque, une partie de l’URSS se pâme devant les chansons de Joe Dassin : sa mort, le jour de l’ouverture des JO de 1980, est ressentie comme un deuil national (que n’égalera, deux jours plus tard, que le décès de Vladimir Vissotsky, le chanteur-poète alors marié avec Marina Vlady…).
Cette revue détaillée et passionnante de la contre-culture organisée autour des premiers hippies russes, puis des groupes de rockers, poètes et chanteurs conquérant une bonne partie de la jeunesse, fonctionne également comme portrait d’un mouvement qui a ébranlé tout l’empire soviétique.

Jamais n’avait été si bien racontée, avec tant d’anecdotes et de textes de chansons (qui expriment une révolte aujourd’hui totalement récupérée), cette révolution culturelle se propageant jusqu’à l’Arménie, la Géorgie et le Kazakhstan. Une histoire fascinante qui prouve que la musique peut être annonciatrice de révolutions.

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