Des fois, penseur varie
dans l’hebdo N° 1202 Acheter ce numéro
La semaine dernière, je sais pas si t’as vu : un réputé philosophe de médias est venu raconter dans Politis qu’il voterait « blanc », plutôt que pour François Hollande ou pour Nicolas Sarkozy, qui de son point de vue sont pareils, et « défendent depuis presque vingt ans les mêmes fondamentaux » libéraux, et lui, justement, le penseur médiatique, la seule idée de voter pour un libéral le dégoûte, on ne l’y prendra pas, oooh non, Raymond – pas lui, pas ça, on parle ici d’un authentique « socialiste libertaire », pas l’oublier, s’te plaît.
Moi non plus, que je te dise : jamais j’irai voter pour un « socialiste ». Tu peux venir me faire toutes les leçons de morale du monde, sur le thème aaah mais oui, mais attends, c’est un peu facile, hein, de faire le retiré sur l’Aventin pendant que d’autres font le sale boulot : j’en ai, mais alors, rien à foutre – et je préfère lire en braille les œuvres complètes de Nadine Morano [^2] plutôt que d’envisager, fût-ce trois secondes, d’aller mettre dans une urne un bulletin frappé du nom d’un(e) des félon(e)s de compète de chez la rue de Solférino, dont la spécialité, je rappelle, est de faire, sitôt qu’on les met dans l’Élysée (ou Tignon), comme la droite, mais avec, en plus, les chuintements de Jack Lang, alors t’es gentil(le), mais non, merci, putain, sans moi.
Et donc : après avoir lu dans le Politis de la semaine la prose médiatico-philosophique dont je te parlais au début de ce billet, où ça disait comme ça qu’Hollande = Sarko et que ç’allait donc voter blanc, j’aurais pu battre des mains – mais au lieu de ça, je me suis demandé : attends, Gontran ? Ce mec-là ? Ce penseur d’high niveau qui d’habitude se produit plutôt dans le Point (où l’inénarrable Giesbert [^3] lui polit son rond de serviette), et qui tout d’un coup vient faire jusque dans nos pages son numéro de rebel with a cause ? C’est pas le même, exactement, qui, y a cinq ans, moquait au contraire celles et ceux qui votaient blanc ?
Si fait, me suis-je répondu : dans le Monde, en janvier 2007, il avait, depuis l’haut de son éminence, raillé le choix consistant à « rester pur et » à « se cantonner à la seule éthique de conviction en votant blanc aux deux tours ». Et il lui avait opposé cette bien plus digne attitude – qui était bien sûr la sienne : « Mettre les mains dans le cambouis » et « composer une éthique de responsabilité » en votant « blanc au premier tour et Royal au second », ou en votant « utile deux fois en choisissant Ségolène Royal ». Car en effet, expliquait-il : « La droite de Sarkozy, ça n’est pas la même chose que la gauche libérale des socialistes. »
En 2012, notre ami nous assène donc, avec la même crâne assurance, le contraire, exactement, de ce qu’il soutenait cinq ans plus tôt : c’est à cela, aussi, que se reconnaît Michel Onfray.
[^2]: Qui présentent l’insigne commodité d’être d’un accès facile.
[^3]: Dont nous nous reparlerons un de ces quatre, fais-moi penser : quand tu l’as entendu expliquer dimanche soir (sur France Inter) qu’il était grosso merdo françoishollandiste depuis l’âge, petit, de trois ans et demi, alors qu’il a quand même, dans certains moments, prodigué vers Sarkozy des lècheries de force 10, t’as forcément envie de t’intéresser à son cas.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.