Des ondes de liberté derrière les barreaux

France Bleu Maine lance une série d’émissions de jazz produites et animées par des détenus.

Jean-Claude Renard  • 17 mai 2012 abonné·es

Nantes, Le Mans, Laval, Angers, La Roche-sur-Yon, Fontenay-le-Comte. Autant de villes et autant de maisons d’arrêt vibrant au son du jazz. Créé au Mans en 1980, aujourd’hui dirigé par Armand Meignan, le festival Europajazz s’est associé cette année à France Bleu Maine pour réaliser six émissions depuis l’intérieur de ces prisons. En faisant participer activement les détenus.

Depuis deux ans, la station proposait dans ses murs une émission dominicale articulée autour du jazz. Elle sort aujourd’hui des ­studios pour mieux « s’enfermer ». Entretien avec Xavier Rinaldi, journaliste et coréalisateur de l’émission.

Qu’est-ce qui a présidé à l’idée de faire intervenir une radio publique, antenne de Radio France, dans les maisons d’arrêt ?

Xavier Rinaldi : L’histoire d’une rencontre entre Armand Meignan, directeur d’Europajazz, et Thierry Steiner, directeur de France Bleu Maine. Le premier a initié il y a une dizaine d’années une série de concerts dans les prisons des Pays de la Loire. Le second lui a proposé de s’associer à cette tournée en y associant la radio. France Bleu Maine remplit ainsi sa mission de service public local.

Poser un micro devant des détenus n’est pas anodin. Accompagner l’oreille des détenus avec du jazz, la musique typique de la liberté, qui trouve ses racines chez les esclaves noirs aux États-Unis, encore moins. Une radio de service public fait son travail quand elle est là où les privés ne veulent ou ne peuvent pas aller.

Comment avez-vous opéré ?

À partir d’une playlist qu’on leur a fait parvenir, les détenus ont choisi les titres qu’ils voulaient diffuser dans « Bleu Jazz ». J’ai fait une première « tournée » des six maisons d’arrêt pour préparer le conducteur avec eux, puis un second tour avec Armand Meignan pour enregistrer les émissions. Chaque émission de 45 minutes a été bâtie depuis ce conducteur, établi à la seconde près avec les détenus, pour s’en détacher très vite.

Rien n’est écrit pour l’émission habituelle, il n’y avait pas de raison que ça change en prison. Cela aurait bloqué toute parole. Les détenus se sont tous retrouvés à un moment ou à un autre devant quelqu’un qui leur posait des questions avec un stylo à la main, en enregistrant leur moindre parole. Il ne s’agissait pas de reproduire un schéma d’interrogatoire.

Il existe une grande différence entre participer à une émission de radio et « faire » de la radio. Là, autour de la table, dans chaque maison d’arrêt, tout le monde a fait de la radio.

Quels ont été les moyens techniques, les conditions d’enregistrement ?

Sportives ! Mais c’est ça qui fait la matière radiophonique : la sculpture d’une antenne, la tessiture d’une émission, ne peut pas se faire dans un fauteuil club. La radio est magique pour ça : on ne maquille rien, tout s’entend. À quinze dans la salle de classe de la maison d’arrêt de Laval, assis sur des chaises d’écolier, ça donne un son décalé.

Faire entrer un studio de radio en maison d’arrêt, ce n’est pas une sinécure quand on sait que certaines prisons n’acceptent même pas de faire passer des CD gravés pour que les détenus puissent écouter de la musique. Mais cinq micros posés sur une table, cela reste simple et naturel. Quand on fait de la radio, 90 % du travail passe par le regard. Entre le présentateur et le réalisateur, entre les invités et le présentateur. Et se regarder, cela ne nécessite pas de moyens techniques immenses !

Quelle a été la contribution des détenus ?

Faire écouter autrement. C’est ce que je leur ai dit : on ne vient pas vous voir pour vous occuper. Quand un spécialiste parle de jazz, ça peut vite devenir fatigant, à moins d’être soi-même spécialiste. Les détenus ont, comme tout le monde, un regard, une oreille et des mots. Les leurs sont la plupart du temps enfermés. Et la radio ouvre. Certains connaissaient le jazz, d’autres n’en avaient jamais entendu. Certains avaient déjà fait de la radio, d’autres n’avaient jamais vu un micro. Mais tous avaient le même ressort : parler et faire écouter. Parler d’eux, certes, mais aussi partager la musique qu’ils ont choisie. Il s’agissait donc de faire passer le jazz par le trou de la serrure, en contrebande.

« Bleu Jazz » , tous les dimanches, de 16 h à 17 h, sur France Bleu Maine, jusqu’au 5 juillet.

En ligne sur www.bleumaine.fr

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