Genviève Azam : « La nature devient une entreprise »

Geneviève Azam dénonce la cécité générale sur la place de la crise écologique dans le système économique.

Thierry Brun  • 31 mai 2012 abonné·es

Les conférences onusiennes ont intégré progressivement les mécanismes des marchés pour gérer les ressources naturelles et l’environnement, explique l’économiste Geneviève Azam, qui s’avère être quasiment la seule personne en France capable de vulgarisation sur ces questions.

Comment en est-on arrivé à faire de l’économie verte l’enjeu principal du prochain Sommet de la Terre à Rio ?

Geneviève Azam : À partir de 1992, et avec le Sommet de la Terre à Rio, la promotion du développement durable a reposé sur la tentative de combiner la croissance économique et le développement avec la réduction de la pauvreté et la préservation des écosystèmes, dans le cadre d’accords multilatéraux. Le protocole de Kyoto (1997), négocié dans la foulée, a été le premier accord international sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec le principe de « responsabilités communes mais différenciées » dans les changements climatiques. On était alors dans l’euphorie de la mondialisation néolibérale, qui devait apporter prospérité et paix au monde entier.

Au même moment, se déroulaient les négociations de l’Uruguay Round, qui ont abouti en 1994 à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) acte la libéralisation des services environnementaux ; de nouveaux droits de propriété intellectuelle sont promus (Adpic), en particulier sur le vivant. La financiarisation est en marche.

« L’eau, les sols ou l’air ne sont ni des marchandises ni des actifs financiers, mais des biens communs ! » Les faux nez de l’économie verte sont dans le collimateur des mouvements sociaux, des ONG et de nombreux écologistes. Ils ont lancé en janvier dernier une campagne internationale « Non à l’économie verte ^2 » pour dénoncer la marchandisation de moins e->nogreeneconomy.org]n moins rampante de la nature : pillage de la biodiversité, agrocarburants, crédits carbone émis sur le dos des forêts, etc. Cette mobilisation battra son plein lors d’un « sommet des peuples » à Rio du 15 au 23 juin, qui se tiendra en parallèle du sommet Rio+20 des Nations unies, où les pays industriels voudront imposer l’économie verte comme modèle pour la planète. Le collectif qui mène la campagne en France appelle à une mobilisation pour la justice sociale et écologique. Il organise un débat public samedi 9 juin [^3] sur les enjeux du sommet Rio+20, le décryptage de l’économie verte et des propositions : à la place d’un ersatz vert du système actuel mû par les marchés, la concurrence et la finance, un monde fondé sur le partage et les solidarités, le bien-vivre et la sobriété, des emplois décents, une agriculture paysanne, la souveraineté alimentanogreeneconomy.orgire des populations [^3]: De 13 h 30 à 19 heures, salle des Diaconesses, à Paris XIIe.
Les États-Unis, après avoir bataillé pour inclure les mécanismes des marchés du carbone dans le protocole de Kyoto, ne l’ont finalement pas ratifié. De grandes entreprises multinationales ont utilisé le développement durable comme greenwashing, ou comme terreau d’un capitalisme vert et d’une finance verte. La logique économique et financière l’a emporté. Croissance globale et durabilité ne font pas bon ménage.

Il y a donc cette idée que la crise écologique serait résolue par les mécanismes de marché et les technologies « vertes » ?

Les grandes entreprises transnationales et les fonds financiers savent que la crise écologique et énergétique est au cœur du système. Dans la perspective d’une société post-pétrole, les convoitises concernant l’appropriation et l’exploitation de la biomasse, essentiellement concentrée dans les pays du Sud, sont exacerbées.

Les rapports du programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), de l’OCDE et de la Banque mondiale sur l’économie verte, reposent sur l’idée que, si la crise écologique est aussi profonde, c’est que la nature n’a pas de valeur économique, qu’elle n’est pas correctement évaluée, et donc qu’elle est gaspillée. Pour arriver à rétablir l’équilibre des écosystèmes, il faudrait mettre un prix aux services écosystémiques que celle-ci rend gratuitement et instaurer des droits de propriété. Ainsi, la crise écologique n’est plus à la périphérie du modèle économique dominant, elle est au cœur de ce modèle. La nature n’est plus simplement un objet mort à exploiter à l’infini, elle est une entreprise productrice de flux infinis de services.

Comment évolue cette marchandisation de la nature ?

Le climat est un terrain d’expérimentation important pour les multinationales et les fonds d’investissement. Par exemple, pour lutter contre la déforestation, les forêts sont évaluées en fonction de leur capacité à capter le carbone. Les tonnes d’émission de carbone évitées ou la plantation de nouvelles forêts s’expriment en droits d’émission, négociables sur les marchés du carbone. Pourtant, la déforestation continue. Pourquoi un tel aveuglement ? Outre l’évidence des intérêts à court terme des lobbies industriels et financiers, le recul consenti des Nations unies et de quelques grandes organisations environnementales est présenté comme un moindre mal, à la suite des échecs du multilatéralisme et des effets de la crise financière. Un moindre mal ? Plutôt un verrouillage qui permet aux lobbies d’amorcer les bifurcations qui leur sont nécessaires.

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La nature en Bourse
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