Genviève Azam : « La nature devient une entreprise »
Geneviève Azam dénonce la cécité générale sur la place de la crise écologique dans le système économique.
dans l’hebdo N° 1205 Acheter ce numéro
Les conférences onusiennes ont intégré progressivement les mécanismes des marchés pour gérer les ressources naturelles et l’environnement, explique l’économiste Geneviève Azam, qui s’avère être quasiment la seule personne en France capable de vulgarisation sur ces questions.
Comment en est-on arrivé à faire de l’économie verte l’enjeu principal du prochain Sommet de la Terre à Rio ?
Geneviève Azam : À partir de 1992, et avec le Sommet de la Terre à Rio, la promotion du développement durable a reposé sur la tentative de combiner la croissance économique et le développement avec la réduction de la pauvreté et la préservation des écosystèmes, dans le cadre d’accords multilatéraux. Le protocole de Kyoto (1997), négocié dans la foulée, a été le premier accord international sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec le principe de « responsabilités communes mais différenciées » dans les changements climatiques. On était alors dans l’euphorie de la mondialisation néolibérale, qui devait apporter prospérité et paix au monde entier.
Au même moment, se déroulaient les négociations de l’Uruguay Round, qui ont abouti en 1994 à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) acte la libéralisation des services environnementaux ; de nouveaux droits de propriété intellectuelle sont promus (Adpic), en particulier sur le vivant. La financiarisation est en marche.
Il y a donc cette idée que la crise écologique serait résolue par les mécanismes de marché et les technologies « vertes » ?
Les grandes entreprises transnationales et les fonds financiers savent que la crise écologique et énergétique est au cœur du système. Dans la perspective d’une société post-pétrole, les convoitises concernant l’appropriation et l’exploitation de la biomasse, essentiellement concentrée dans les pays du Sud, sont exacerbées.
Les rapports du programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), de l’OCDE et de la Banque mondiale sur l’économie verte, reposent sur l’idée que, si la crise écologique est aussi profonde, c’est que la nature n’a pas de valeur économique, qu’elle n’est pas correctement évaluée, et donc qu’elle est gaspillée. Pour arriver à rétablir l’équilibre des écosystèmes, il faudrait mettre un prix aux services écosystémiques que celle-ci rend gratuitement et instaurer des droits de propriété. Ainsi, la crise écologique n’est plus à la périphérie du modèle économique dominant, elle est au cœur de ce modèle. La nature n’est plus simplement un objet mort à exploiter à l’infini, elle est une entreprise productrice de flux infinis de services.
Comment évolue cette marchandisation de la nature ?
Le climat est un terrain d’expérimentation important pour les multinationales et les fonds d’investissement. Par exemple, pour lutter contre la déforestation, les forêts sont évaluées en fonction de leur capacité à capter le carbone. Les tonnes d’émission de carbone évitées ou la plantation de nouvelles forêts s’expriment en droits d’émission, négociables sur les marchés du carbone. Pourtant, la déforestation continue. Pourquoi un tel aveuglement ? Outre l’évidence des intérêts à court terme des lobbies industriels et financiers, le recul consenti des Nations unies et de quelques grandes organisations environnementales est présenté comme un moindre mal, à la suite des échecs du multilatéralisme et des effets de la crise financière. Un moindre mal ? Plutôt un verrouillage qui permet aux lobbies d’amorcer les bifurcations qui leur sont nécessaires.