La saignée de l’Europe

Les plans d’austérité imposés par l’Union européenne, la BCE et le FMI,
notamment en Grèce et en Espagne, n’ont pas résolu la crise dans la zone euro. Bien au contraire.

Thierry Brun  • 31 mai 2012 abonné·es

Le cercle vicieux des plans de sortie de crise dans la zone euro est en train de se refermer sur l’Espagne et la Grèce. L’Espagne est plus que jamais en proie à une crise bancaire qui menace sa stabilité financière. Le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy, déjà engagé dans de sévères programmes d’austérité, devra dans les prochaines semaines renflouer Bankia, la quatrième banque espagnole, à hauteur de 23,5 milliards d’euros, et injecter de vastes quantités de capitaux dans les autres banques espagnoles, dont les pertes sont estimées à 260 milliards d’euros.

La Grèce, elle aussi engagée dans des programmes de réforme draconiens, exigés par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et l’Union européenne, surnommés la Troïka, est plongée dans une crise sans égale. L’État risque d’être à court de liquidités d’ici fin juin si la Troïka coupe ses aides en cas de rejet des plans d’austérité lors des élections législatives du 17 juin.

« Si les Grecs choisissent de refuser le sort que les dirigeants européens et le FMI leur ont concocté, c’est tout l’édifice de l’austérité en Europe qui sera mis à mal. “Changement en Grèce, message à l’Europe tout entière”, tel était le slogan de campagne de Syriza [parti de gauche grec] », explique Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic. Selon celle-ci, « la Grèce n’est que l’exemple le plus avancé d’une politique de saignée qui est aujourd’hui mise en œuvre dans la plupart des pays européens ».

Les fédérations de la CGT ont recensé les redressements et liquidations d’entreprises, y compris des PME, sans être exhaustives. Le résultat est édifiant : 46 entreprises sont concernées, qui représentent près de 45 000 emplois menacés en France. Cette liste noire « montre ce que l’on avait craint, c’est-à-dire qu’il y avait des consignes pour ne pas annoncer des plans sociaux avant la présidentielle », explique Mohammed Oussedik, secrétaire confédéral de la CGT, chargé de l’industrie. « Il n’y a pas, à l’heure où je vous parle, plus de plans sociaux qu’à la même époque l’année dernière », a démenti Laurence Parisot, la patronne du Medef, qui « ne [croit] pas qu’il y ait eu des choses cachées ». La CGT a pourtant également relevé « 35 000 emplois perdus dans le BTP sous forme de départs volontaires et ruptures conventionnelles », ces dernières étant une forme « déguisée » de licenciements, selon le syndicat.

L’Italie est également concernée, ajoute l’économiste Dominique Plihon, président du conseil scientifique d’Attac : « Le président du Conseil italien, Mario Monti, fait preuve d’une grande orthodoxie, mais sa politique n’a rien résolu de la situation. Hors de la zone euro, la Grande-Bretagne est en très grande difficulté. Le Premier ministre conservateur David Cameron doit faire face à une récession qui s’aggrave et à des déficits publics qui ont passé le cap des 10 % du PIB en 2010. Il n’arrive pas à maîtriser la dette publique. Ces exemples montrent que les stratégies néolibérales fondées sur l’austérité et la réduction des dépenses publiques ne fonctionnent pas ».

Les mesures préconisées par le Pacte budgétaire européen, adoptées en mars par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, n’y changeront rien, prévient le collectif des Économistes atterrés dans un livre à paraître en juin, intitulé l’Europe maltraitée  (éditions Les Liens qui libèrent). «  On voit aujourd’hui la réalité de ces politiques contre-productive, ajoute Dominique Plihon. Les dirigeants politiques ne se sont pas attaqués à la sphère financière. On est sous la domination des marchés. Depuis le début de la crise financière, l’objectif est de protéger les intérêts des créanciers, c’est-à-dire les investisseurs et les banques, dont on préserve au maximum les intérêts. Cette politique à sens unique consiste à donner des gages aux marchés qui détiennent la dette, et à faire payer le fardeau de l’ajustement aux peuples. »

De son côté, l’économiste Jacques Sapir estime que, pour relancer l’économie, le gouvernement grec dispose d’instruments de « rétorsion » face à ces menaces, comme la restructuration de la totalité de sa dette et la réquisition de la Banque centrale grecque pour « lui faire émettre autant d’euros que nécessaire » et « couvrir ses besoins de financement à court terme [^2] ». Jacques Sapir envisage aussi une sortie de la Grèce de la zone euro : « Une telle solution sonnerait probablement le glas de l’euro. Mais ce glas sonne déjà avec la crise espagnole et le retour de la crise irlandaise. »

Pour l’instant, il n’est pas question que la Grèce se mette en faillite et sorte de la zone euro, ont réaffirmé le 23 mai, lors d’un sommet informel, les dirigeants de l’Union européenne, même si le scénario est envisagé et a été chiffré. Une sortie de la Grèce est jugée ingérable par la Banque centrale européenne et par l’Institut international de la finance, qui représente le lobby bancaire mondial. « L’oligarchie politico-financière essaie au maximum de pousser son avantage, pour profiter au maximum de la crise, pour mettre à genoux toutes les formes de résistances, pour s’attaquer à l’État social et aux dépenses publiques », lâche Dominique Plihon. Autant dire que les leçons des échecs de telles politiques sont loin d’être été tirées.

[^2]: « Il faut relancer l’économie grecque, dût l’euro en périr », Jacques Sapir, tribune publiée dans le Monde du 25 mai.

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