Les Awá face aux envahisseurs
L’une des ultimes tribus nomades d’Amazonie est menacée de disparition. L’ONG Survival International lance une campagne pour demander justice en leur nom au gouvernement brésilien.
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Ils contemplent, entre hébétude et fatalisme, les troncs calcinés encore fumants. Là, les Awá ont chassé, cueilli des fruits, construit leurs carbets (abris de bois). « Pourquoi font-ils ça ? Si vous détruisez la forêt, vous détruisez les Awá aussi… », s’élève un cacique.
Une fois de plus, ils prendront leurs paniers de palmes et leurs arcs pour s’enfoncer plus profondément dans la forêt amazonienne de l’État du Maranhão (nord-est du Brésil). Ils fuient, depuis près de trente ans, la progression aussi inexorable qu’illégale de bûcherons, d’éleveurs et de colons qui dévastent leur territoire dans une impunité quasi absolue.
Ces témoignages vidéo sont diffusés par Survival International, qui se bat depuis sa création pour la sauvegarde des Awá, l’une des deux dernières tribus nomades de la forêt. L’association la considère désormais comme la plus menacée au monde. Elle lance une campagne internationale de pression sur les autorités brésiliennes portée par le Britannique Colin Firth, militant de longue date de causes sociales et écologistes, oscar du meilleur acteur en 2011 pour son rôle dans le Discours d’un roi.
On ne dénombre plus que 360 Awá. Il en existe peut-être, en plus, une centaine d’« isolés » (sans contact avec l’extérieur). En 2005, il leur a été attribué 116 000 hectares de forêt – deux fois moins que leur territoire originel. Le Brésil aura laissé traîner cette homologation (et d’autres similaires) pendant vingt ans : en 1985, rien ne devait entraver le projet Grand Carajás, l’exploitation de fabuleuses réserves minières découvertes en Amazonie. Les 900 kilomètres de rails qui évacuent le minerai de fer ont coupé le territoire awá en deux. Sédentarisation forcée, maladies « des Blancs », massacres perpétrés par des colons sans scrupule : en vingt-cinq ans, la tribu a perdu la moitié de sa population.
Survival International a mis la main sur les ultimes relevés : 31 % du territoire awá a déjà été déboisé, transformé en pâtures à bovins ou en champs. « Cette tribu, entièrement dépendante de la forêt pour sa survie, est menacée de disparition à court terme », rapporte Fiona Watson, coordinatrice des campagnes à Survival International.
En 2007, l’anthropologue Eliane Cantarino O’Dwyer concluait à une « véritable situation de génocide », comme le juge fédéral José Madeira lors d’une investigation en 2009. Il ordonne le départ « sous cent quatre-vingts jours » des occupants illégaux : décision bloquée par d’interminables batailles judiciaires. « C’est le sort probable d’une nouvelle décision, datant de décembre dernier, suspecte Fiona Watson. Le temps qu’elle remonte jusqu’à la Cour suprême, la tribu aura disparu… »
La Funai, organisme chargé des questions indigènes, reconnaît l’impuissance de ses faibles moyens de police face au rouleau compresseur des envahisseurs, dix fois plus nombreux que les Awá.
Le gouvernement fédéral a certes fait fermer quelques scieries illégales, en mars dernier, mais les amendes sont trop dérisoires pour calmer les appétits. La Présidente, Dilma Rousseff, toute à son grand Programme d’accélération du développement – concernant entre autres l’exploitation de l’Amazonie –, semble se désintéresser de la question. Aussi la campagne de Survival International, lancée le 25 avril avec l’appui d’organisations brésiliennes, cible-t-elle le ministre de la Justice, José Cardozo. La veille, il se défaussait : « Le territoire brésilien est trop immense pour prévenir tous les conflits en territoires indigènes. »
Depuis, ses services ont déjà reçu près de 18 000 messages exigeant qu’il fasse justice à la tribu en expulsant les envahisseurs. Accueillant en juin le sommet planétaire Rio + 20, le Brésil aura peut-être à cœur d’agir pour soigner son image…