Lo Còr de la Plana fait battre le cœur de Marseille

Ce groupe polyphonique fait entendre en provençal la beauté des brassages méditerranéens.

Denis Constant-Martin  • 3 mai 2012 abonné·es

Une Marseille ouverte, chaleureuse, drolatique et rétive, qui risquerait de tomber dans des clichés pagnolesques sans l’enracinement solide du Còr de la Plana dans une réalité sociale : pour Manu Théron et ses amis, la splendeur de Marseille est d’abord celle des voix qui traitent le provençal pour donner aux polyphonies de somptueuses couleurs.

Les musiques naviguent entre des traditions marseillaises et ce qui continue de les enrichir, venu des contrées méditerranéennes proches, ou, plus loin, du Brésil. Le Còr réenchante le passé afin de dire le présent, en musique et en paroles. Après un disque consacré aux chants sacrés (Es lo titre, Nord-Sud, 2003), un autre, aux chants à danser (Tant deman, Buda Musique, 2007), Marcha ! présente un répertoire de chansons plus sociales et contestataires. Il repart des trobaires marseillais du XIXe siècle, comme Miquèu Capoduro, à l’anticléricalisme pisciforme (le capelans désignant un poisson aussi bien que le curé), ou Josèp Saraire, qui montre que les « canailles » (on peut y ­substituer « racailles ») ne sont pas toujours ceux qu’on croit.

Aux textes de ces grands ancêtres, Manu Théron ajoute son humour grinçant pour dénoncer les mafias locales et un lyrisme affligé pour chanter son « pays », où il faut entendre aussi bien Marseille que la France : « Au Pays où l’on veut vivre/Que viennent les étrangers/Et qu’ils soient libres/D’y habiter le cœur léger », commence-t-il, pour conclure : « Ils transportent avec eux les espérances/Et l’élan de l’avenir/Nous ne leur prodiguons que l’injustice/La ruine et l’anéantissement. »

Mais la joie de vivre, telle qu’elle s’épanche dans les quartiers dont la liste fait déjà poésie, reprend le dessus, liée à la liberté qu’invoque J. Clozel, un poète dont on ne sait plus rien, sinon que, vers 1892, il protesta contre la révocation de l’instituteur socialiste Pèire Bertas en proclamant dans « Libertat » : « Tu es l’amante des morts de faim/De ceux qui n’ont pas de chemise/Les sans-pain les sans-lit/Les gueux qui vont sans souliers/Ont tes caresses. »
Lo Còr de la Plana associe beauté musicale, ancrage local et universalisme social. On pourra l’entendre à partir de la fin mai, et s’y préparer en écoutant ce magnifique CD.

Culture
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