Marine Le Pen, xénophobe et antilibérale
La candidate du Front national a séduit ses électeurs grâce à une diversité thématique. Retour sur ses discours de campagne.
dans l’hebdo N° 1201 Acheter ce numéro
On l’attendait au tournant, on l’a découverte redoutablement efficace. En lançant sa campagne autour de thèmes nouveaux et fédérateurs, tels l’écologie, la jeunesse, l’emploi ou les services publics, Marine Le Pen a suivi une stratégie habile : élargir son électorat potentiel, l’agréger au noyau dur, faire converger tout ce petit monde vers la thématique « xénophobe » – thème qu’elle récuse pour y préférer celui de « passionnément francophile ». Certes, la haine des élites et de l’étranger demeure un invariant. Mais Marine Le Pen, dans la droite ligne de son père, qui expliquait en 2002 que le Front national n’est « ni de droite ni de gauche », a considérablement élargi sa palette contestataire. Manière, aussi, de synthétiser toutes les peurs… Analyse de texte en six meetings emblématiques.
À Metz, l’antilibéralisme
(12 décembre)
Pour son premier grand meeting de campagne, Marine Le Pen choisit d’insister davantage sur son programme économique que sur les traditionnelles questions migratoires. La candidate dessine « le modèle économique patriotique, rénové, réarmé face à la mondialisation », où seule la fermeture des frontières nationales pourra enrayer la désindustrialisation. Citant de Gaulle, elle met en opposition « les marchés » et le « peuple » – « Face à leur dieu, le triple A, vous êtes des triples riens ! » –, et dénonce la « potion ultralibérale [administrée au peuple] qui lui fait tant de mal ». Un nouvel électorat fait son apparition dans le discours : les jeunes. Mais pas n’importe lesquels : les « premières victimes de la mondialisation débridée », non les « hordes de barbares qui polluent nos cités, profitent de l’argent public […] et passent leur temps à brutaliser les autres ».
À Perpignan, le travail
et la « justice sociale » (12 janvier)
En pleine séquence de chiffrage des programmes des candidats, et alors que Sarkozy reparle de la TVA sociale, Marine Le Pen fait un discours à forte connotation « sociale », mettant le chômage au cœur de ses préoccupations : « Jamais le travail n’a été aussi oublié que dans la France de 2012. […] On dit que les travailleurs doivent être beaucoup plus souples. Pour passer à quoi ? Il n’y a pas d’emploi ! » Et de dénoncer les « injustices » faites aux salariés et petits patrons qui « travaillent dur », alors que sous leurs yeux il y a « la Berline qu’on gare devant sa caravane dans les camps de Roms où on touche le RSA ». Elle se présente comme la candidate de la « méritocratie », de la « justice sociale » et de la « répartition des richesses », glisse vers une attaque de « l’ennemi du travailleur » : la fraude (aux allocations, à la carte Vitale, au minimum vieillesse…). Et s’insurge contre « la précarité à tous les étages », versus les valeurs immuables : « Ils vont nous inventer un jour le mariage en CDD ! »
À Rouen, les désastres
du « mondialisme » (15 janvier)
Le meeting de Rouen est consacré au « système » du « mondialisme ultralibéral », où la concurrence économique a pour corollaire la concurrence entre les identités. Pourfendeuse de l’euro – « notre prison, notre cage » –, Le Pen poursuit son réquisitoire contre « l’Europe ultralibérale et antisociale », « un système [qui] enfonce les catégories populaires, les classes moyennes et les retraités dans une misère grandissante. […] Mon projet présidentiel tout entier est tourné vers ces oubliés de la mondialisation ». Ceux-là mêmes qui craignent de voir leur identité se dissoudre dans le multiculturalisme : « Le mondialisme, ce n’est pas seulement un système économique sauvage […], c’est aussi une idéologie […] qui vise à uniformiser les cultures, […] à transformer [les hommes] en anonymes. »
À Lille, l’écologie et la « fraternité des nations » (le 23 février)
Le discours de Lille est l’occasion pour Marine Le Pen de se poser en défenseuse du « commerce équitable » et de la « concurrence [économique] organisée, équilibrée pour le développement harmonieux des nations », dans le respect « de la véritable écologie ». « Pas celle du retour au Moyen Âge et à l’élevage des chèvres sur le Larzac ! Mais l’écologie réelle, celle qui permet à chacun de vivre et de travailler dans son pays, de produire national, et donc de moins transporter, de moins polluer. De s’épanouir dans son cadre de vie, avec ses traditions et ses différences, qui sont la richesse du monde. » L’écologie comme prétexte au dogme du « chacun-chez-soi » qui, seul, garantira l’alliance « libre » des nations.
Opposant la « chatoyance » de la diversité des cultures à « l’enfer de l’uniformisation », Marine Le Pen jette l’opprobre sur « eux », qui veulent transformer « l’ensemble de l’humanité en un gigantesque supermarché » où « l’“homo economicus” […] gavé de Coca-Cola ou de McDo, […] et portant le survêtement et la casquette à l’envers, oublie son histoire et ses traditions ».
Évoquant l’« eurofascisme », terme employé par le démographe (de gauche) Emmanuel Todd, elle se positionne pour la solidarité avec les peuples grec, portugais, italien… Et même avec l’Afrique. « Il est venu le temps de la renaissance des nations, qui doivent s’unir » face à cette loi du libre-échange « qui n’est que l’idéologie de l’exploitation », lance-t-elle. « Patriotes de tous les pays, unissez-vous ! […] La fraternité des nations est la seule arme à opposer aux profiteurs internationaux. »
À Châteauroux, le monde paysan et des services publics (le 26 février)
Sous des airs d’ode bucolique à la nature, le discours de Châteauroux promeut un retour à la France des origines (on compte pas moins de 98 mentions des termes « France » ou « français(e) » !). Marine Le Pen promet de la défendre contre « l’invasion de la laideur marchande ». Annonçant qu’elle veut remplacer la PAC par la PAF (politique agricole française) pour contrer la concurrence des agriculteurs étrangers, la candidate insiste sur la « solitude » des paysans et sur la souffrance de « nos campagnes […] abandonnées par les pouvoirs successifs, abandonnées par les médias, abandonnées par les sociologues »… Et par les services publics, liquidés par « l’Europe de Bruxelles », et que la candidate promet de faire revenir un à un dans les zones rurales : fin de l’ouverture à la concurrence, « notamment étrangère », du rail, renationalisation de La Poste, renforcement des fonctionnaires dans la gendarmerie, rupture avec « l’obsession du gigantisme scolaire », ouverture du numerus clausus pour faire revenir les médecins français (et non les médecins étrangers) dans les hôpitaux de proximité…
À Nantes, le retour
aux fondamentaux (le 25 mars)
Les tueries de Toulouse et de Montauban par Mohamed Merah, qui ont eu lieu quelques jours plus tôt, donnent l’occasion à Marine Le Pen de prendre apparemment ses distances avec l’antisémitisme de son père, pour mieux cibler l’islam et renouer avec les thèmes traditionnels du Front national. Celle qui avait déjà martelé un discours très sécuritaire à Marseille, le 4 mars, renvoyant dos à dos « loi des bandes » et « loi des banques », et se prononçant pour le retour de la double peine – « une peine pour le délit commis, une peine pour la trahison [envers le pays d’accueil] » –, amalgame, à Nantes, la « gangrène » de « l’islamisme radical », les « banlieues », la « drogue »… « Cet islam radical est la conséquence directe de l’immigration de masse que droite et gauche nous imposent depuis des décennies maintenant, que souhaite le Medef pour peser sur les salaires des ouvriers français. » Un discours où le mot « peur » sera employé 39 fois.