Un Ayrault très discret

Mal connu du grand public, le nouveau Premier ministre est un rassembleur qui peut parfois se montrer rigide, comme en témoigne son acharnement à imposer l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Portrait.

Pauline Graulle  • 17 mai 2012 abonné·es

Il a eu chaud. Cette satanée condamnation, vieille de quinze ans, à six mois de prison avec sursis pour favoritisme dans l’attribution d’un journal municipal, lui avait déjà coûté un poste de ministre sous le gouvernement Jospin. Elle a failli lui faire rater la marche de Matignon. Cette fois, le discret Jean-Marc Ayrault a répliqué : « C’est une affaire que j’ai assumée en tant que maire. Honnête homme je suis, honnête homme je resterai. »
Honnête ou pas, l’homme gagne visiblement à être connu. Réélu sept fois consécutives député de Loire-Atlantique, le président du groupe PS à l’Assemblé nationale jouit d’une très bonne image auprès des députés de son parti, qui l’ont élu à trois reprises à ce poste. À Nantes, sa ville natale, où il est maire depuis 1989, il travaille en bonne entente avec l’ensemble du spectre politique local. Même son opposante UMP dit de lui qu’il est un « mentor ».

« Ayrault préfère intégrer les oppositions plutôt que les ­laisser se développer », pointe Ronan Dantec, son adjoint EELV à la mairie depuis dix ans. « Sa principale qualité, c’est son côté fédérateur », confirme Alain Besson, seul biographe (1) de ce politique de 62 ans qui abhorre la politique spectacle et dont l’apparente austérité n’a de toute façon jamais attiré les médias.

Modéré, à l’écoute, loyal… Ainsi ses proches décrivent-ils cet ancien prof d’allemand, qui a grandi dans le catholicisme social mais se dit agnostique. Son parcours politique ressemble à celui de beaucoup de socialistes de sa génération. La fidélité en plus. D’abord bien à gauche – Ayrault restera vingt ans le collaborateur du socialiste Jean Poperen –, il est tombé ensuite dans la social-démocratie.

Comme son ami de trente ans, François Hollande – politiquement, pas même une feuille de papier à cigarette ne sépare ces deux-là –, le nouveau chef du gouvernement a su se tenir à bonne distance des guerres de clans socialistes : « Ayrault est tout sauf un idéologue, indique Alain Besson. Quand on est maire depuis l’âge de 27 ans [Ayrault a été maire de Saint-Herblain de 1977 à 1989, NDLR], on ne passe pas son temps dans le conceptuel. »

En gestionnaire socialiste classique, l’édile de Nantes a su ménager le social (objectif de 25 % de logements sociaux, système fourni de transports reliant centre-ville et quartiers populaires…) et l’économique, choyant le gratin nantais des chefs d’entreprise. Son qualificatif de « grand » maire, il le doit pourtant à ses singularités politiques. Son « intuition culturelle » (le terme est d’Alain Besson) a fait de la sixième ville de France l’une des premières en matière de dynamisme culturel : les Royal de Luxe y font défiler leurs « géants », et on vient de toute l’Europe pour visiter le Lieu unique, centre d’art aménagé dans une ancienne usine LU.

Autre bon point d’Ayrault, son attachement à l’écologie : « Il est l’un des seuls socialistes à avoir compris les enjeux du développement durable et à faire preuve de volontarisme en ce domaine, quitte à contrarier les automobilistes », affirme Ronan Dantec, qui rappelle que le président des députés PS était favorable à un moratoire sur le nucléaire après la catastrophe de Fukushima.

Le maire de la « capitale verte de l’Europe 2013 » traîne pourtant un boulet nommé « Notre-Dame-des-Landes ». Du nom de la commune où il s’acharne à vouloir faire construire un aéroport au mépris de la forte opposition environnementale et paysanne. « Il y a deux Ayrault : le Ayrault écolo, et le Ayrault Notre-Dame-des-Landes », résume Ronan Dantec. Un genre de « Mister Hyde » obsédé par le désenclavement du Grand Ouest, et qui reste inflexible lorsque des opposants à l’aéroport entament une grève de la faim.

« Sur ce dossier, il est incapable du moindre dialogue. Quand on aborde le sujet, il se met en colère, déplore Françoise Verchère, conseillère générale du Parti de gauche et coprésidente du CéDpa (le collectif d’élus anti-aéroport). Ayrault est comme tous ces grands élus : des bâtisseurs, pas des aménageurs, qui veulent compter dans le cadre de la concurrence européenne entre les territoires. »

L’artisan du « changement, c’est maintenant », qui vient de passer plus de deux décennies à la tête de Nantes, aurait déjà décidé d’y revenir illico après son passage à Matignon. En attendant, le ­deuxième plus gros cumulard (député, président du groupe PS à l’Assemblée nationale, maire, président de la communauté urbaine Nantes Métropole) de France (2) devra notamment conduire la réforme… de la fin du cumul des mandats.
Le nouveau Premier ministre a surtout pour mission de s’imposer face à la crise économique. Pas évident. « Ayrault est un leader par la pacification, pas par le charisme, explique Goulven Boudic, maître de conférence en science politique à l’université de Nantes. C’est un avantage pour rassembler et régler les conflits, mais cela risque de donner l’impression de quelqu’un d’assez effacé, à l’image d’un Fillon. » Espérons qu’il s’agira là de leur seul point commun.

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