Un regard super Acid
L’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion célèbre ses vingt ans, sans rien céder de son soutien déterminé à la diversité.
dans l’hebdo N° 1203 Acheter ce numéro
Des films français, belge, israélien, qatari, turc, pakistanais ou sri-lankais. Des fictions et un documentaire[^2]. Ce sont là des œuvres au programme de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid), présentées lors de ce 65e Festival de Cannes. Une sélection définissant les choix de l’association, composée exclusivement de cinéastes, qui célèbre aujourd’hui ses vingt ans. Précisément, ce sont les réalisateurs qui choisissent de défendre tel ou tel film. La sélection se fait sur des critères particuliers : la diversité des genres, un attachement aux premières œuvres, un film parfois sans distributeur, ou bénéficiant d’une sortie de moins de quarante copies.
Récemment, Querelles , de Morteza Farshbaf, les Vieux Chats , de Sebastián Silva et Pedro Peirano, Tahrir, place de la Libération , de Stefano Savona, Fleurs du mal , de David Dusa, Bovines , d’Emmanuel Gras, ou encore Donoma , de Djinn Carrénard, ont obtenu le soutien de l’Acid. Au total, environ vingt-cinq films sont estampillés Acid chaque année. Laquelle demeure présente dans nombre de festivals (à Marseille, à Lussas, à La Rochelle) et compte un réseau de 250 salles, dont une centaine sont adhérentes.
Surtout, l’originalité et l’intérêt de l’Acid résident dans ses fonctions : promouvoir un cinéma pluriel, entre éthique et esthétique, des films dont l’économie n’est pas le point fort, loin des poids lourds ; favoriser un accès aux œuvres pour le spectateur ; créer un lien vivant entre lui et les auteurs à travers des rencontres. De fait, chaque film est présenté par son réalisateur, les équipes du film, ses interprètes ou bien par un autre cinéaste.
Dans cet esprit, le rapport entre l’Acid et les salles est déterminant. Nécessairement diffus, privilégié.
Tel est le cas du Saint-Exupéry, à Marignane, cinéma indépendant, classé art et essai, doté de deux salles, dirigé par André Soto, privilégiant les films de l’association, proposant « des œuvres d’auteur à côté de films généralistes, alimentaires. On a là un gage de qualité, dans des domaines très différents, comme Entre nos mains ou Fleurs du mal, avec des images que le cinéma traditionnel marchand ne donnera pas. Pour prendre l’exemple de Bovines *, quelle major montrerait la vie des vaches ? ! »*
Pour Michèle Demange, à la tête d’un multiplex Pathé de 14 salles à Belfort, qui organise une soirée Acid toutes les six semaines et le festival Entrevues en novembre, mettant en lumière des premières œuvres puisées notamment dans les choix de l’association, « l’Acid est une relation évidente pour une salle en région. Elle nous assure un réel suivi, énergique, dynamique et sur le terrain. C’est un soutien au niveau de la programmation. On peut voir les films en amont et faire son choix sur des œuvres qui ont un label qualité. »
Surtout, souligne André Soto, « ce qui fait la force de l’Acid, c’est son accompagnement d’un film auprès du public, par un réalisateur ou un membre de l’équipe. Cela plaît et attire » . À Belfort, observe Michèle Demange, la projection de Noces éphémères, « en présence de son réalisateur, Reza Serkanian, a rassemblé 400 personnes. Sans lui, on n’aurait pas fait la moitié » .
Pour Franck Cairou, animateur et projectionniste au cinéma l’Iris, à Questembert (Morbihan), possédant deux salles, « cet accompagnement est presque devenu un passage obligé pour proposer des films différents » . Avec parfois une certaine réussite. Dans la petite cité bretonne, la projection de Bovines a réuni 88 personnes dans la grande salle de 250 places. « Un réel succès, équivalent à une programmation grand public. » Cela dit, reprend André Soto, « on n’est jamais certain du succès. Parfois, le revers est terrible. Avec un film américain à l’affiche, le public vient tout seul ; il est conditionné. Avec un film indépendant, on doit aller le chercher. »
Affaire de risque. Ou plutôt, comme l’exprime Jean-Michel Cretin, à la tête de l’Espace Cinéma à Besançon, proposant dix jours par mois une « programmation nomade » au théâtre de l’Espace, scène nationale, ou au Kursaal, « ce n’est pas un risque mais un enjeu. Il existe une nécessité à programmer ce cinéma non consensuel, en train de s’inventer. Certes, il ne suffit pas de le programmer pour que le public vienne. Il s’agit de sensibiliser davantage » .
« Ce sont des films sur lesquels on doit travailler deux fois plus , renchérit Michèle Demange, en termes de communication, en activant les réseaux, en créant des soirées spéciales, sinon, les films n’existent pas. Ici, on a 14 films par semaine. Si l’on programme un film Acid sans rien faire, il en pâtit. On insiste donc sur l’idée de curiosité. S’ils sont parfois déroutés, bousculés, les gens sont le plus souvent agréablement surpris. Sans doute parce que les échanges sont fructueux. » Dans une ville comme Marignane (avec près de 35 % de voix pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle), « culturellement sinistrée, où l’on marche sur des œufs en permanence, le public n’en réagit pas moins bien. Les films de l’Acid sont un support pour le vivre-ensemble » .
Reste cependant du travail, insiste André Soto : « On n’est pas assez soudés. On devrait développer de grandes tournées pour chaque film, d’une salle à l’autre. Si l’on veut soutenir le cinéma indépendant, on doit se servir des nouveaux outils, des réseaux sociaux, des nouvelles manières de communiquer et de diffuser. » Des perspectives qui ne sont pas insurmontables.
[^2]: Les films programmés à Cannes : Casa nostra , de Nathan Nicholovitch, The End , de Hicham Lasri, Ini Avan , d’Asoka Handagama, Noor , de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, Room 514 , de Sharon Bar-Ziv, Sharqiya , d’Ami Livne, Stalingrad Lovers , de Fleur Albert, la Tête la première , d’Amélie van Elmbt, la Vierge, les Coptes et Moi , de Namir Abdel Messeeh.
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