« Walk away Renée » : Caouette, une virée à la mère
Dans « Walk away Renée », l’Américain Jonathan Caouette offre une représentation inspirée de la maladie mentale de sa mère.
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Jonathan Caouette filme sa famille et lui-même depuis l’âge de 9 ans. Non pour se distraire, ou parce que la caméra aurait été son jouet favori. Mais – et cela ne semble pas pour une fois exagéré de le dire à propos d’un artiste – pour se sauver, préserver son intégrité physique et psychologique.
Depuis son très jeune âge, l’existence de Jonathan Caouette a tout d’une épreuve. Il a été élevé par ses grands-parents parce que sa mère, Renée Leblanc, passait le plus clair de son temps dans des hôpitaux psychiatriques, même si elle pouvait le voir une fois par semaine. Le garçon a aussi été placé dans des familles d’accueil, où il a subi des mauvais traitements.
Le précédent film de Jonathan Caouette, Tarnation (2004), élaboré à partir du matériau filmique considérable accumulé pendant toutes ces années, racontait cette jeunesse à la fois heurtée et avide de rêves, d’échappées dans l’imaginaire. Walk away Renée est comme une déclinaison et un prolongement du film précédent. Il se situe d’abord au présent. Jonathan Caouette retire sa mère d’un centre psychiatrique de Houston, au Texas, où elle est mal soignée, pour l’emmener dans un établissement spécialisé, dans la banlieue de New York.
C’est un long road-movie, accompli dans une immense camionnette de déménagement – métaphore involontaire de ces « valises » dont on dit qu’on les transporte avec soi, sans toujours réussir à s’en départir. L’occasion pour le cinéaste de montrer la relation exceptionnelle qui le lie à sa mère. Jonathan Caouette lui offre son amour, sa tendresse, sa protection – et lui voue même une grande admiration –, qui passent dans tous les gestes du quotidien et le dévouement dont il fait preuve, sans que celui-ci jamais n’apparaisse comme un sacrifice.
Alors que la mère et le fils sont sur la route – la principale difficulté surgissant du fait qu’ils ont égaré les médicaments de Renée, qu’aucun médecin ne veut prescrire sans hospitalisation immédiate, ce qui finit par avoir des conséquences sur l’état de la malade –, le spectateur fait lui-même des voyages dans le temps. Jonathan Caouette n’ayant jamais cessé de la filmer, il mêle au présent des images du passé plus ou moins récent pour retracer l’histoire de Renée Leblanc : son évidente joie de vivre qui a été rapidement cassée, ses difficiles relations avec ses parents, les étapes de la dégradation de sa santé, et l’attachement indéfectible à son fils, malgré, parfois, des crises violentes.
Le cinéma de Jonathan Caouette relève, on l’aura compris, du genre autobiographique. Mais Walk away Renée, comme Tarnation, ne ressemble pas à un journal intime. Le mot autofiction, aujourd’hui presque passé de mode, conviendrait mieux. D’abord parce que le cinéaste n’use pas de la première personne : il est devant la caméra au même titre que les autres personnages de son film. Ensuite parce qu’il n’hésite pas à réinventer le réel, à donner une forme onirique à ce qui pourrait être, selon lui, le monde des malades mentaux auquel appartient sa mère, en jouant sur tous les moyens que lui offre le cinéma : effets spéciaux, split screen ou musique, folk ou pop, qui rythme en même temps qu’elle aère et dilate le film.
Là se situe la force de Walk away Renée. Loin d’édulcorer ce que la schizophrénie peut entraîner de souffrance, le film n’a rien de naturaliste, multipliant les visions magiques, à la Méliès. « Les gens qui souffrent d’une maladie mentale, je crois qu’ils sont dans un autre espace, et que cet autre espace existe vraiment », dit Jonathan Caouette.
Les images stupéfiantes qui jaillissent ainsi saisissent autant que celle où Renée, avec un nouveau dentier, retrouve soudain son sourire et rajeunit de 20 ans. Grâce au cinéma, Jonathan Caouette a pu imaginer cet « espace » autre où évolue sa mère, où il peut malgré tout la voir belle et apaisée. Le cinéma est une illusion, mais nous aimons les illusions dans lesquelles il nous plonge.
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