À contre-courant / Quel redressement productif ?

Dominique Plihon  • 7 juin 2012 abonné·es

Les annonces de plans sociaux se multiplient depuis le début du nouveau quinquennat : ArcelorMittal, Air France, Crédit agricole, Carrefour… La liste est longue. Les directions des entreprises ont attendu que l’horizon politique se dégage pour appliquer leurs projets plutôt que d’engager des négociations en amont avec les organisations syndicales afin d’éviter la fermeture d’un site ou le « dégraissage » massif des effectifs. Comme l’indique Jean-Louis Beffa, ancien patron de Saint-Gobain, il existe deux modèles principaux de relations sociales dans le capitalisme européen [^2] : un « modèle coopératif », qui a été prépondérant en Allemagne, avec la présence de représentants salariaux au conseil de surveillance, et un « modèle de flexibilité de marché », dominant en France. Dans le premier modèle, le dialogue social permet de préparer les évolutions sur la base d’une négociation et d’une stratégie de long terme. La flexibilité de marché s’inscrit, au contraire, dans une approche dominée par la recherche de rendement financier à court terme, imposée par les directions, avec des ajustements rapides en termes d’effectifs et de délocalisation.

Des expériences récentes montrent que la fermeture d’une usine confrontée à la concurrence mondiale n’est pas inéluctable. À la différence du sauvetage de l’usine Lejaby, qui a été l’œuvre des pouvoirs publics en pleine campagne électorale, la survie de l’usine Bosch de Vénissieux est le fait des organisations syndicales et des salariés. Refusant un plan social fondé sur des baisses de salaires et d’effectifs, ces derniers ont obtenu d’utiliser les compétences disponibles sur le site en matière d’assemblage pour l’appliquer à la fabrication de cellules photovoltaïques, ce qui a permis de préserver les emplois [^3]. Trois conditions apparaissent nécessaires à la réussite de telles reconversions : échapper à l’exigence de rentabilité à court terme des actionnaires, condition satisfaite par Bosch, non cotée ; pouvoir engager un dialogue sur le projet d’entreprise ; identifier les compétences pour les reconvertir vers des produits socialement et écologiquement utiles, et engager les actions de formation nécessaires.

La création d’un ministère du Redressement productif et l’organisation prochaine de conférences réunissant les partenaires sociaux doivent être l’occasion pour les pouvoirs publics de favoriser la réunion de telles conditions, en commençant par desserrer la pression actionnariale, notamment par une fiscalité favorisant le réinvestissement des profits, par un nouveau cadre juridique, et par une réorientation des aides, afin d’obliger le patronat à débattre des orientations stratégiques avec les syndicats, plutôt que d’imposer des fermetures. Les territoires ont un rôle central à jouer pour réussir ces reconversions par la valorisation des compétences locales. La nouvelle loi de décentralisation prévue doit s’inscrire dans cette perspective en donnant aux collectivités les moyens d’une relocalisation de la production, notamment par la mise en place d’une banque publique de l’industrie décentralisée. C’est à ces conditions que le redressement productif annoncé prendra tout son sens.

[^2]: La France doit choisir, Jean-Louis Beffa, Seuil.

[^3]: « Comment sauver l’industrie ? », Alternatives économiques, hors-série n° 93, 3e trimestre 2012.

Travail Économie
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées
Travail 15 novembre 2024 abonné·es

« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées

Les risques professionnels sont généralement associés à des métiers masculins, dans l’industrie ou le bâtiment. Pourtant, la pénibilité des métiers féminins est majeure, et la sinistralité explose. Un véritable angle mort des politiques publiques.
Par Pierre Jequier-Zalc
Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement
Social 9 novembre 2024

Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement

Les employés du studio sont en grève. Ils mettent en cause une gestion fautive de la direction et exigent l’abandon du plan, révélateur des tensions grandissantes dans le secteur du jeu vidéo.
Par Maxime Sirvins
Liquidation de Fret SNCF : les syndicats préparent la riposte
Transport 5 novembre 2024 abonné·es

Liquidation de Fret SNCF : les syndicats préparent la riposte

Après l’annonce de la liquidation, au 1er janvier 2025, de Fret SNCF, les syndicats de cheminots unis ont été reçus par la direction ce 5 novembre. Ils déplorent un passage en force et annoncent une « fin d’année très conflictuelle ». Première journée de grève prévue le 21 novembre.
Par Pierre Jequier-Zalc
Budget 2025 : quand la gauche rafle la mise… en vain ?
Budget 4 novembre 2024 abonné·es

Budget 2025 : quand la gauche rafle la mise… en vain ?

Depuis trois semaines, le Nouveau Front populaire enchaîne les victoires sociales et écologiques dans un hémicycle clairsemé. Au point que la copie actuelle du budget serait, selon Éric Coquerel, « NFP-compatible ». Jusqu’au 49.3 ?
Par Lucas Sarafian