À contre-courant / Quel redressement productif ?
dans l’hebdo N° 1206 Acheter ce numéro
Les annonces de plans sociaux se multiplient depuis le début du nouveau quinquennat : ArcelorMittal, Air France, Crédit agricole, Carrefour… La liste est longue. Les directions des entreprises ont attendu que l’horizon politique se dégage pour appliquer leurs projets plutôt que d’engager des négociations en amont avec les organisations syndicales afin d’éviter la fermeture d’un site ou le « dégraissage » massif des effectifs. Comme l’indique Jean-Louis Beffa, ancien patron de Saint-Gobain, il existe deux modèles principaux de relations sociales dans le capitalisme européen [^2] : un « modèle coopératif », qui a été prépondérant en Allemagne, avec la présence de représentants salariaux au conseil de surveillance, et un « modèle de flexibilité de marché », dominant en France. Dans le premier modèle, le dialogue social permet de préparer les évolutions sur la base d’une négociation et d’une stratégie de long terme. La flexibilité de marché s’inscrit, au contraire, dans une approche dominée par la recherche de rendement financier à court terme, imposée par les directions, avec des ajustements rapides en termes d’effectifs et de délocalisation.
Des expériences récentes montrent que la fermeture d’une usine confrontée à la concurrence mondiale n’est pas inéluctable. À la différence du sauvetage de l’usine Lejaby, qui a été l’œuvre des pouvoirs publics en pleine campagne électorale, la survie de l’usine Bosch de Vénissieux est le fait des organisations syndicales et des salariés. Refusant un plan social fondé sur des baisses de salaires et d’effectifs, ces derniers ont obtenu d’utiliser les compétences disponibles sur le site en matière d’assemblage pour l’appliquer à la fabrication de cellules photovoltaïques, ce qui a permis de préserver les emplois [^3]. Trois conditions apparaissent nécessaires à la réussite de telles reconversions : échapper à l’exigence de rentabilité à court terme des actionnaires, condition satisfaite par Bosch, non cotée ; pouvoir engager un dialogue sur le projet d’entreprise ; identifier les compétences pour les reconvertir vers des produits socialement et écologiquement utiles, et engager les actions de formation nécessaires.
La création d’un ministère du Redressement productif et l’organisation prochaine de conférences réunissant les partenaires sociaux doivent être l’occasion pour les pouvoirs publics de favoriser la réunion de telles conditions, en commençant par desserrer la pression actionnariale, notamment par une fiscalité favorisant le réinvestissement des profits, par un nouveau cadre juridique, et par une réorientation des aides, afin d’obliger le patronat à débattre des orientations stratégiques avec les syndicats, plutôt que d’imposer des fermetures. Les territoires ont un rôle central à jouer pour réussir ces reconversions par la valorisation des compétences locales. La nouvelle loi de décentralisation prévue doit s’inscrire dans cette perspective en donnant aux collectivités les moyens d’une relocalisation de la production, notamment par la mise en place d’une banque publique de l’industrie décentralisée. C’est à ces conditions que le redressement productif annoncé prendra tout son sens.
[^2]: La France doit choisir, Jean-Louis Beffa, Seuil.
[^3]: « Comment sauver l’industrie ? », Alternatives économiques, hors-série n° 93, 3e trimestre 2012.