Aristophane, jeune auteur qui monte
Serge Valletti adapte librement l’œuvre du dramaturge grec. Un vrai bonheur !
dans l’hebdo N° 1206 Acheter ce numéro
Saviez-vous qu’Aristophane, le bouillant farceur d’Athènes dans les années 400 (avant Jésus-Christ), mettait dans la bouche de ses personnages des jurons du type : « Carambouilleur ! Vile tache ! Tarte à merde ! Vis sans fin ! » ? Ou des formules du genre : « Mon pauvre, vous ne savez pas où vous tombez les pieds. Ici, c’est pas le Martinez ! » ? Saviez-vous également qu’il n’a pas écrit Ploutos mais l’Argent, L’Assemblée des femmes mais Cauchemar d’homme, les Grenouilles mais Reviennent les lucioles !, Lysistrata mais la Stratégie d’Alice ? De quoi faire s’effondrer toute votre culture universitaire, si vous en aviez une. En fait, on l’a compris, il s’agit là d’une transposition française du théâtre du maître grec, qui fait exploser les traditions en usage et propose un sacré rajeunissement de ces vieux textes. Son auteur, Serge Valletti, est l’un de nos meilleurs écrivains de théâtre. Une sorte de Beckett marseillais traquant le mystère humain non par l’économie du langage mais par l’expansion de la palabre. Il collabore même, actuellement, au scénario du prochain film de Robert Guédiguian. Mais, un jour, il s’est épris des comédies d’Aristophane.
En 1995, Valletti se passionne pour Ploutos, l’histoire de minables qui recueillent un personnage abîmé mais dont il y a beaucoup à tirer : l’argent, l’incarnation de toutes les richesses, notre bonheur avant d’être notre malheur total. Aristophane avait tout compris du système économique dont nous ne sommes toujours pas dépêtrés. Valletti adapte le texte librement. Sa version, l’Argent, est créée sur France Culture, puis au théâtre. Valletti en reste là puis, il y a cinq ans, décide de revenir aux textes de l’auteur des Oiseaux : il traduira tout Aristophane, du moins les onze pièces qui nous sont parvenues. D’ailleurs, l’ensemble s’appellera Toutaristophane. Valletti se met au travail en sachant que la tâche est colossale. Mais, développant sa forte fraternité de marcheur du Vieux-Port avec l’ancêtre du Pirée, il avance peu à peu. Aujourd’hui, il peut éditer deux volumes comportant au total quatre pièces et espérer arriver au terme du projet dans quelques années.
Valletti connaissait mal le grec ancien, mais l’a apprivoisé. Il s’est attribué une totale liberté d’auteur, mais il n’a pas évacué l’histoire, ni le contact avec les savants et les chercheurs. Il rappelle volontiers des éléments oubliés, parfois troublants, notamment que tous les textes d’Aristophane nous sont parvenus grâce aux copies du Moyen Âge établies par des moines lettrés à partir de papyrus où, selon la graphie des anciens, les mots sont accolés, sans espaces, et sans l’attribution des répliques aux différents personnages. Valletti a multiplié les rencontres avec des spécialistes, notamment aux Nuits de Fourvière, à Lyon, où, cette année encore, il devrait dialoguer dans le ton sérieux et bouffon qui le caractérise. Pour définir son travail de poète brassant une œuvre vivante et morte, il s’explique ainsi : « Traduction, translation, actualisation, imitation, contamination, réécriture, re-visitation, réinvention ou bien même trahison ! Au lecteur de juger ! » Ces versions sont des bonheurs de verdeur et d’insolence réinventées. Mais qui les montera ? Le grand barnum de Marseille Provence 2013 s’est défilé. La ville de Marseille, attentive, hésite. Depuis Aristophane, rien n’a changé chez les édiles.