BD : L’Association se la raconte
Plusieurs ouvrages relatent l’histoire de la maison d’édition, ses victoires et ses découvertes comme ses blessures.
dans l’hebdo N° 1206 Acheter ce numéro
Ça pochtronne sec. Canette à la main, planches de BD au mur. Des corps vautrés, des bouches vomissantes. Un couple, encore debout, s’exclame : « Tiens, il est déjà cinq heures du matin ! » Au loin, on peut lire CNBDI (Centre national de la bande dessinée et de l’image). Tout près, on observe un gardien de musée bien frais, droit sorti d’un Tintin, agiter sa cloche, l’air stupéfait ou perdu. « L’Association entre au musée. » La légende est brève ; elle accompagne l’une des cinquante images proposées par François Ayroles, l’un de ses cinquante Moments clés de l’Association, édité par l’Association. L’Association ? « Une utopie éditoriale et esthétique », selon Acme – groupe de chercheurs pluridisciplinaires –, qui lui consacre un livre aux Impressions nouvelles. Ou un sacré bordel, si l’on en croit Quoi ! , publié à l’Association par quatre de ses fondateurs et cinq de ses auteurs.
L’Association… en fut d’abord une, classique, loi de 1901, créée en 1990. Elle était alors « à la Pulpe ». C’est-à-dire, selon ses statuts, en quête de « la pulpe d’une bande dessinée particulière et innovatrice ». Savait-elle qu’elle en avait déjà plein le verre, avec ses sept fondateurs et dessinateurs : David B., Trondheim, Menu, Killoffer, Mattt Konture, Stanislas, Mokeït ? Tous voulaient exploser les normes commerciales, qu’elles concernent les choix éditoriaux ou les conditions de distribution.
« L’Association n’était pas seule à vouloir faire de la bande dessinée différemment, raconte Jean-Louis Capron, auteur et éditeur, dans Quoi ! Quantité d’éditeurs, certains plus anciens, d’autres fraîchement éclos, œuvraient dans le même sens. Mais, avec son état-major de première classe, sa puissance de feu et son trésor de guerre hérité d’une précédente association […], l’Asso et ses fondateurs étaient en première ligne. » Le cri de guerre de l’Association aurait pu être : « le pouvoir aux auteurs ». Les victoires furent belles : collections étonnantes (dont la lapidaire « Pattes de mouche »), albums splendides, talents découverts, revue à l’affût, feu l’étiquette anticode-barres révolutionnaire… Il y eut même un best-seller : Persépolis , de Marjane Satrapi, s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Le livre d’Acme et le documentaire Mattt Konture, l’éthique du souterrain, de Francis Vadillo, nous replongent dans cette épopée éditoriale, et en plein émerveillement graphique.
L’ennemi s’efface, la jeunesse passe. Sonne l’heure des balles dans le pied, des couteaux dans le dos, bref, des blessures. Acme les évite, les Moments en témoignent, Quoi ! les explore, ces blessures, d’amitié d’abord, de choix « politiques » ensuite. Ce n’est pas inintéressant, c’est même étrangement tendre, troublant aussi, que de voir l’Association s’écrire ainsi sous nos yeux. Pourquoi le faire, alors que le conflit s’est arrêté il y a un an, que les salariés sont sauvés, et que voilà Menu parti fonder sa propre maison d’édition, L’Apocalypse ? « [Trondheim] veut que je sois le modérateur, que je note ce qui va être dit, écrit Johann Sfar. Pour l’histoire, j’imagine. »
C’est peut-être cela, l’enjeu. Écrire l’histoire de l’Association en son sein. Comme les fondateurs de l’Association l’ont toujours fait, en se mettant en scène. Seule l’ambiance a changé : il y a de la tristesse dans l’air, le mythe originel a pris du plomb dans l’aile. « Finalement , analyse Jean-Louis Capron, les souvenirs, ça ne sert qu’à dire qu’on a vécu. » Alors qu’il faut vivre toujours, peut-être même plus encore, pour l’Association qui en est redevenue une, comprenant ancienne et nouvelle garde (Killoffer, David B., Konture, mais aussi Ruppert et Mulot, Ayroles, Baladi, Lécroart…). « On a un peu obligation de faire au moins aussi bien que Meun’s [Menu], sinon mieux, et ça risque d’être coton ! », explique Mokeït, fondateur et « masse salariale ». La barre est haute, les lecteurs impatients.
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