Emploi : Déformation professionnelle
L’Afpa, premier organisme public de formation professionnelle, est en faillite, victime d’une réforme engagée il y a trois ans.
dans l’hebdo N° 1209 Acheter ce numéro
Les 9 000 salariés de l’Afpa (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes), qui est en cessation de paiement, ne sont pas sûrs d’être payés au mois de juillet. En 2011, le bilan du premier organisme public de formation professionnelle affiche 55 millions d’euros de pertes, soit presque dix fois plus qu’en 2010. « Un déficit de 179 millions d’euros » guette l’association d’ici à la fin de l’année, selon le Canard enchaîné. La direction ne souhaite pas commenter ce chiffre, jugé réaliste par Christian Bauduin, secrétaire national de la CFDT.
La crise prend ses racines en 2009, lorsque la réforme de la formation professionnelle transfère le financement public de l’État aux Régions. Elle fait suite à un avis du Conseil de la concurrence, pour qui « la position avantageuse » de l’Afpa sur le marché de la formation pose problème. L’organisme doit désormais répondre à des appels d’offres, ce qui va le léser d’une partie de ses recettes. Trois ans plus tard, le chiffre d’affaires est passé d’un milliard à 865 millions d’euros. L’objectif de la direction, pour répondre à la crise, « a été de tenter un développement à tout prix du marché privé, au détriment des demandeurs d’emploi, qui étaient et restent notre cœur de métier », explique Christian Bauduin. L’année suivante, l’Afpa annonçait fièrement avoir répondu à trois fois plus d’appels d’offres qu’en 2009. Comment est-ce possible ? Grâce à « des formations plus courtes », répond le représentant de la CFDT. « Nous avons été obligés de diversifier notre offre pour gérer la situation », commente le service communication. Pendant ce temps, la réforme de la formation professionnelle n’endigue pas le chômage : « Le nombre de demandeurs d’emploi formés par l’Afpa a baissé de 17 %, et beaucoup de formations sont vides », explique Éric Carpentier, délégué général à SUD-FPA. Car Pôle emploi n’oriente pas prioritairement un chômeur en formation vers l’organisme public. Malgré des accords en ce sens entre les deux administrations, Pôle emploi ne recourt à l’Afpa que pour seulement 5 % des formations proposées. Ce n’est pas la priorité, selon Christian Bauduin : « Pour indiquer les places disponibles chez nous, les conseillers de Pôle emploi ont le logiciel Cerise… qui ne fonctionne pas ! » Près de 2 000 emplois ont été supprimés en quelques mois. Les 916 postes du service d’orientation, essentiellement constitué de psychologues, ont été transférés à Pôle emploi. L’association a perdu ses atouts de service public, estime Éric Carpentier. « On n’est plus en mesure d’offrir le package formation-restauration-hébergement-suivi médical grâce auquel 75 % de nos stagiaires retrouvaient un emploi durable dans les six mois. » Les conseils régionaux n’ont pas les crédits suffisants pour compenser l’absence des subventions d’Etat. « Le Nord-Pas-de-Calais a suivi après le retrait de l’État, mais ce n’est pas le cas de Rhône-Alpes, par exemple », commente Christian Bauduin. De plus, «leur enveloppe n’est pas contrôlée et certaines Régions ne la consacrent pas à l’Afpa», critique le syndicaliste SUD. La faillite de la banque Dexia, qui soutenait un tiers des découverts bancaires de l’organisme, a par ailleurs plongé l’Afpa dans le précipice plus vite que prévu. Son président, Jean-Luc Vergne, a démissionné. Les syndicats demandent la tête du directeur général, Philippe Caïla. Proche d’Éric Woerth, celui-ci « a été placé pour casser l’institution », estime Christian Bauduin.
Face à l’urgence, le ministre du Travail, Michel Sapin, a reçu les syndicats le 19 juin. L’État n’a promis ni changement ni apport financier, simplement missionné le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri). L’Association des régions de France (ARF), opposée depuis toujours à ces réformes budgétaires, s’est jointe au chantier du gouvernement, pour que l’Afpa assure « son rôle essentiel pour la qualification des demandeurs d’emploi ».