Faut-il revaloriser le Smic ?
Une hausse rapide du Smic est indispensable, estime Mohammed Oussedik, en raison notamment de l’augmentation des dépenses contraintes. Pour Laurence Laigo, il faut plutôt aller vers une distribution plus équitable des salaires.
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Aujourd’hui, 50 % de la croissance est due à la consommation des ménages. Le salaire médian dans le pays est d’environ 1 600 euros net par mois, et plus de 10 % des salariés sont au Smic (1 097 euros net par mois). Aussi, si l’on souhaite relancer la croissance par la consommation – même s’il faut aussi la relancer par l’investissement –, il faut aujourd’hui que ces 10 % de salariés au Smic arrivent à un pouvoir d’achat au moins au niveau du salaire médian. De même pour les agents de la fonction publique qui perçoivent un traitement avoisinant le Smic.
Se rapprocher du niveau du salaire médian, cela signifie augmenter immédiatement le Smic à 1 700 euros brut. Je rappelle par ailleurs que le seuil de pauvreté en France est aujourd’hui de 954 euros mensuels : le Smic lui est donc supérieur d’un peu plus de 100 euros seulement. C’est une autre raison pour laquelle nous militons pour une hausse du Smic très rapide et substantielle. Cette situation s’aggrave encore si l’on observe les écarts territoriaux : on sait très bien aujourd’hui que, dans les grandes agglomérations, les salariés au Smic ne peuvent plus faire face, vu le niveau des dépenses incompressibles (logement, transport, etc.).
Cette revalorisation seule du Smic, cependant, ne résoudrait pas tout. Il faut que cette augmentation se répercute aussi dans les branches. J’entends déjà les cris du patronat sur le « coût du travail ». Or, on ne fait jamais la différence entre les secteurs soumis à la compétition internationale et les autres. Par exemple, le secteur de l’industrie manufacturière a une part d’entreprises exportatrices, et d’autres, comme celles des matériaux de construction, qui relèvent de marchés essentiellement régionaux. Ceux-ci n’ont pas de concurrents chinois ou autres (sauf si ceux-ci s’implantent ici, mais alors ils sont soumis aux normes sociales françaises).
Pour celles qui sont sur des marchés mondiaux, ce fameux coût du travail plombe-t-il leur compétitivité? Dans le secteur automobile, peut-on vraiment penser que l’Allemand Volkswagen est moins compétitif, quand ses salariés travaillent 32 heures par semaine, sont payés 30 % de plus que les salariés français du même secteur et viennent d’obtenir des augmentations cette année de 4,5 % ? Et Volkswagen a annoncé qu’il va embaucher 3 000 personnes dans l’année à venir ! Est-ce qu’un tel coût du travail empêche l’industrie automobile allemande d’être l’une des plus performantes et des plus compétitives au monde ?
Le coût du travail n’est en aucun cas le problème pour la compétitivité des entreprises françaises ! C’est d’abord un problème d’investissement dans la recherche, l’innovation, la formation, les qualifications, et dans l’emploi. C’est d’abord un problème de positionnement en gamme : Toyota est capable de produire une Yaris à Valenciennes, Mercedes une Smart près de Mulhouse, et, pendant ce temps-là, Renault utilise les 7 milliards qu’on lui a donnés en 2008-2009 pour se redresser, à investir dans Nissan et Dacia, qui vont venir percuter ses propres productions en France. Le problème n’est donc pas le coût du travail, c’est la stratégie des grands groupes !
On peut donc – et on doit – , pour relancer rapidement la croissance, augmenter le Smic et, en même temps, renouer avec une politique industrielle nationale volontaire. L’État doit avoir un rôle très actif dans les conseils d’administration où il est présent, contractualiser ses prêts et ses interventions, et avoir un droit de regard sur ce que font les groupes.
L’évolution du taux horaire du Smic au rythme de l’inflation en fait le rempart ultime contre un décrochage des plus bas salaires. Cette évolution se traduit directement sur la feuille de paye de 2,5 millions de salariés (1,6 million dans le privé et 900 000 dans le public). Pour les 21 millions d’autres salariés, une revalorisation du Smic est sans effet. L’ensemble des salaires en France n’évolue pas en fonction du Smic. C’est pourquoi il ne peut suffire à combler seul les attentes des salariés en matière de pouvoir d’achat.
La confusion doit être levée : augmenter le Smic, ce n’est pas agir sur tous les bas revenus. En raison de la précarité et de l’instabilité dans l’emploi (temps partiel et chômage), parmi les salariés, un tiers des femmes et un quart des hommes ont un revenu annuel inférieur à un Smic à temps plein ; 13,5 % des Français, plus de 8 millions, vivent en dessous du seuil de pauvreté (954 euros par mois). Pour la CFDT, au-delà du Smic, d’autres leviers doivent être actionnés pour apporter des solutions concrètes : il faut notamment agir sur les formes précaires d’emploi (temps partiels, CDD…).
Si les attentes sont aussi fortes sur le Smic, c’est essentiellement parce que les politiques salariales dans les entreprises et les administrations n’offrent que peu de perspectives aux salariés. 20 % des salariés payés au Smic ont plus de dix ans d’ancienneté dans leur entreprise, et 20 % entre cinq et dix ans. L’affaiblissement de la négociation salariale dans les entreprises et les branches professionnelles a fait du Smic le principal (souvent l’unique) moteur de l’évolution des bas salaires. Il n’est plus un salaire minimum de démarrage sur un poste non qualifié, c’est devenu le seul horizon d’un trop grand nombre de salariés qui n’en décollent plus.
Chaque année, l’État concède 30 milliards d’euros d’aides aux entreprises sur les bas salaires (jusqu’à 1,6 fois le Smic) sous forme d’allégement de cotisations sociales. Ce système coûte cher et incite les entreprises à maintenir leurs salariés à un faible niveau de rémunération. La CFDT demande que ces aides soient conditionnés à l’existence de plans de déroulement de carrières. À côté de cela, le développement sans régulation des primes variables, des augmentations individuelles sous des formes très variées et de plus en plus opaques, des bonus au montant parfois extravagant ont entamé le contrat social dans l’entreprise. Lorsqu’on regarde les masses budgétaires captées par ces mesures, il n’est pas rare de constater que des marges existent pour une distribution plus équitable des salaires et de la richesse créée.
La problématique des dépenses contraintes, dont le poids est devenu insupportable pour trop de salariés, est un enjeu majeur : coût de l’énergie et des transports, accès au logement, reste à charge des dépenses de santé, fiscalité… La responsabilité des pouvoirs publics doit aussi être engagée sur tous ces sujets.