Le bon air de résistance du plateau des Glières
dans l’hebdo N° 1206 Acheter ce numéro
Ah oui ! Je voulais y aller aux Glières. Je devais y aller. C’était une volonté indiscutable, un besoin qui s’imposait, une évidence à laquelle je ne pouvais me soustraire. Et lorsque le désir est vrai, lorsqu’il est juste, la vie offre son aide. Le covoiturage s’est élargi à la caravane pliante où Daniel, mon chauffeur, m’a invité. Le camping rural, au cœur d’une combe tapissée de pâquerettes, distillait l’enchantement dans ce décor magnifiquement arboré. Le ruisseau murmurait le bonheur en écho aux chants des oiseaux voletant dans ces différentes teintes de vert à faire rêver un impressionniste. Le ton, dans tous ses sens, était donné, rien ne l’a démenti. Et le soleil était de la partie. Dès l’arrivée sur le lieu du rassemblement, tour rapide des stands, y compris celui des amis de Politis. Les gens sourient, aimables. Premier choix de conférence parmi trois possibilités pour une succession de tables rondes autour du thème : « Que faire ? » Gagné par l’ironie bienveillante de François Ruffin, Xavier Mathieu (des « Conti ») est percutant de réalisme. Rapides et efficaces, les orateurs font vivre les différentes approches, économiques, sociales, culturelles. Ils ont cinq minutes pour s’exprimer, quelques notes jouées à la guitare servent d’horloge.
La sensation d’être parmi les miens enfle en moi. Le film remarquable sur les Conti, projeté dans sa version intégrale, confirme la beauté des luttes. Oui, je me sens chez moi, enfin, avec mes amis résistants, mes frères en humanité. Je suis heureux d’être là. La fin d’après-midi et la soirée, sous la houlette brillante de Daniel Mermet, restent toniques. Entre les deux, quelques chants d’un groupe folklorique, puis d’une guitariste nous font conclure la pause par « l’Internationale », reprise en chœur. La salle est pleine, aussi un circuit vidéo retransmet-il les débats en simultané sous le chapiteau dressé à proximité. La discussion reprend après cet intermède sympathique. La démarche de réflexion monte d’un cran encore, et le changement de thème dû à la défection bien involontaire d’un invité soulève quelques petites protestations dynamisantes. L’organisateur explique la situation, l’attention revient aussitôt. Les questions des participants permettent d’échapper à un éventuel ronronnement. Minuit, il faut aller dormir. Le sommeil sous la nuit étoilée s’annonce paisible. Il le fut. Au petit-dej, les campeurs échangent pain et confiture. Et toujours ce calme intense et convivial. Le soleil apparaît derrière la crête, les pâquerettes l’attendaient pour ouvrir leurs corolles. Une sensation de respect entre les hommes et la nature, entre les hommes eux-mêmes, donne au café un goût ineffable. Nous n’évoquons pas l’hier, nous sommes au présent.
Montée aux Glières : les covoiturages vont bon train, pas de pollution supplémentaire. Et les quelque trois mille militants sont là, patients et bucoliques, répartis dans l’herbage. Le cadre où tant de gens ont donné leur vie pour la liberté est splendide. Sans tapage, « Bella Ciao », le chant des partisans italiens, intensifie l’émotion. Les communications sont prévues pour 11 heures. Une dizaine d’intervenants se succèdent et maintiennent un rythme dense mais vivifiant : hommage à Raymond Aubrac, évidemment. Xavier, si charismatique dans sa modestie solidaire et déterminée, conclut par un tonitruant : « Résistons ! » L’humilité est l’intelligence de celui qui ose. Le maire cycliste luttant contre la fermeture d’une maternité, tout en concrétude. Cet émouvant et grandissime témoignage de Charles Palant offrant contre le racisme son élégante élocution au service d’un discours simple qui faisait penser à Malraux. Nous sommes tous émus. Et l’ami hongrois dénonçant le fascisme grandissant dans son pays. Et l’ami grec dévoilant l’horreur des financiers. Et la représentante de RESF vibrante d’humanisme rappelant les vertus de l’accueil.
L’attention du public est soutenue, les applaudissements sont nourris mais jamais intempestifs. Le respect mutuel est toujours là. Sourires complices, oui, Sarko a été chassé, tout ne fait que commencer. La conscience tranquille de la lutte juste et de la volonté sereine des combats à mener prend place en chacun. La solidarité est palpable sans démonstration et se répand comme un parfum délicieux de dignité. Résister n’est pas vain. C’est l’essence même d’un citoyen qui a compris qu’il a un cerveau au-delà de la télé, qu’il n’est pas impuissant ni conditionné et qu’on peut croire en l’homme sans être forcément héroïque. Le pique-nique s’installe sans cri ni cavalcade, au milieu des rires détendus. C’est promis, l’année prochaine, je reviens. J’amènerai à mon tour des personnes pour leur faire connaître ce rassemblement fraternel où les valeurs du Conseil national de la Résistance sont plus que jamais d’actualité, en dépit de ceux qui ont tenté de les récupérer ou, pire, de les « détricoter ». Résistons !