Législatives : la bataille des gauches
Le PS et ses alliés sont quasi certains d’obtenir une majorité à l’Assemblée. De l’ampleur de celle-ci dépend l’influence du Front de gauche auprès du gouvernement. Et la nature du changement.
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Les dimanches 10 et 17 juin, c’est jour de vote. Après l’élection présidentielle, les législatives, c’est maintenant. Mais le scrutin, à écouter les témoignages des candidats, ne passionne guère l’électeur. Les sondeurs le confirment. Tous prédisent une abstention importante, de l’ordre de 40 %.
Après une bonne participation électorale au premier tour de la présidentielle (79,5 %), celle pour l’élection des députés accuserait alors une chute de 20 points semblable au désintérêt enregistré en 2007 quand 60,5 % des électeurs s’étaient déplacés après avoir été 83,8 % à voter à l’élection présidentielle.
Très disputées au XXe siècle quand l’Assemblée nationale était encore un enjeu de pouvoir, les élections législatives n’apparaissent plus que comme une formalité post-présidentielle.
Les slogans des principales forces en témoignent. Côté PS, il s’agit de « donner une majorité au changement » , c’est-à-dire à François Hollande. Avec cette petite variante chez les candidats d’Europe Écologie-Les Verts, qui suggèrent de « donner du contenu au changement ». Côté UMP, le principal argument (pas plus mobilisateur) invite les électeurs à « ne pas donner tous les pouvoirs au PS ».
Le premier tour du vote des Français de l’étranger est favorable au PS et à son allié EELV, dont les candidats sont arrivés en tête dans 7 des 11 circonscriptions. C’est le cas notamment dans la 1re circonscription (États-Unis, Canada), où la socialiste Corinne Narassiguin (39,65 %) a nettement devancé l’ex-secrétaire d’État UMP Frédéric Lefebvre (22,08 %), qui a souffert d’une pléthore de candidatures à droite.
Surprise également dans la 2e circonscription (Amérique centrale, du Sud et Caraïbes), où le Vert Sergio Coronado (35,88 %), soutenu par le PS, devance de 13 points le candidat de l’UMP. L’échec pour la droite est d’autant plus cuisant qu’elle avait créé ces circonscriptions en misant sur un vote favorable dans 7 à 8 circonscriptions. Il se double d’un sacré fiasco puisque ce scrutin inédit n’a pas intéressé les Français de l’étranger : la participation électorale a été de 13,4 % à 24 %, malgré l’introduction du vote par Internet utilisé par 130 000 des 210 000 votants.
Quand sur les tréteaux l’UMP demande aux électeurs de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, ses responsables conviennent « off the record » que l’élection d’une majorité de députés de droite face à un président socialiste aboutirait au mieux à une situation politique instable. Au pire, à l’impuissance et au chaos.
Du coup, ils sont de plus en plus nombreux, lors de discussions sur les plateaux de télé et de radio, à se projeter en « élu d’opposition », signifiant ainsi que la défaite leur paraît inéluctable. Elle est tellement prévisible que les leaders de l’UMP – son secrétaire général, Jean-François Copé, l’ancien Premier ministre, François Fillon, et l’ex-ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé – se projettent davantage dans la conquête du leadership de leur camp en vue de la présidentielle de… 2017.
Même si M. Copé et quelques autres continuent de faire semblant d’y croire, même si la direction du PS en agite la perspective pour mobiliser les électeurs, une défaite de la gauche paraît très improbable. Elle a pour elle la logique institutionnelle. « Je ne vois pas les électeurs tenter l’aventure d’une cohabitation », juge le politologue Emmanuel Rivière, de l’institut TNS Sofres. Un point de vue partagé par l’ensemble des instituts de sondage, qui, tous, prédisent une majorité de gauche.
L’ampleur et la composition de cette majorité sont en revanche bien incertaines. Si François Hollande a demandé aux Français une majorité « large, solide, cohérente », il n’est pas sûr que le Parti socialiste et son allié écologiste obtiennent une majorité absolue (289 sièges) à eux seuls. Selon un sondage Ipsos-Logica Consulting pour Radio France publié mardi, le seul à tenter une projection en sièges, le PS et ses alliés divers gauche sont crédités à eux seuls de 249 à 291 députés, les radicaux de gauche en auraient de 14 à 16, le MRC de 2 à 4, EELV de 17 à 23, et le Front de gauche de 21 à 23. Soit un total gauche de 303 à 357.
Il est à noter que, selon cet institut, la droite (UMP, Nouveau Centre, Parti radical) aurait entre 220 et 274 sièges, le MoDem et le Front national ne sont crédités que de 0 à 3 députés. Cela dépendra beaucoup du degré de participation. Celui-ci aura un impact direct sur la possibilité pour l’extrême droite de se maintenir au second tour (il faut pour cela obtenir 12,5 % des inscrits). Plus il sera faible, moins nombreuses seront les triangulaires avec le FN, menaçantes pour la droite.
L’absence de vague rose obligerait le gouvernement à négocier à l’Assemblée ses réformes avec le Front de gauche, qui a refusé d’entrer au gouvernement après les 11 % de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Et redonnerait un peu de vie à une Assemblée nationale endormie par le ronflement des « godillots ».
Une perspective redoutée par le PS et François Hollande, ces derniers ayant répété que la politique suivie par le gouvernement sera celle présentée aux Français par le président de la République lors de la campagne présidentielle et elle seule. Au Parti communiste et au Parti de gauche, on caresse au contraire l’espoir de se retrouver en position charnière à l’Assemblée nationale pour obliger le gouvernement à infléchir sa politique. Sarkozy battu, l’enjeu principal du scrutin de dimanche est dans le rapport de force que les électeurs de gauche établiront au sein de celle-ci. Une vraie bataille entre deux orientations à gauche, où l’on ne se fait pas de cadeaux.
Comme l’a montré l’accord manqué sur des candidatures communes dans les circonscriptions où la gauche risque d’être éliminée au second tour ; le PS était réticent à favoriser l’élection de députés indociles. La compétition est particulièrement rude dans l’Essonne, entre François Delapierre (PG) et Malek Boutih (PS). Tout autant dans le Pas-de-Calais, où la candidature de Jean-Luc Mélenchon vise au moins autant à reprendre pied dans un département socialiste qu’à battre Marine Le Pen (voir pages suivantes).
Entre ces deux gauches, l’attitude face à l’Europe reste la principale pomme de discorde. Quand François Hollande n’exclut plus de ratifier le « traité Merkozy » pour peu qu’y soit annexée une déclaration sur la croissance, Pierre Laurent continue de refuser un texte qui « renforce et automatise la confiscation des choix populaires et l’austérité généralisée ». Et appelle la France à « affronter cette politique si elle veut réussir le changement » .
Le Front de gauche est aussi vent debout contre les « recommandations » de la Commission européenne (voir ci-contre), quand le gouvernement joue l’apaisement. Et proteste quand Laurent Fabius ou Pierre Moscovici demandent aux Grecs de supporter la baisse de leurs salaires de 22 % en élisant « un gouvernement qui soit pro-européen et pro-euro ».