« Une seconde femme », d’Umut Dag : Douceur du gynécée
Dans Une seconde femme,Umut Dag raconte avec subtilité l’arrivée d’une nouvelle épouse dans une famille turque de Vienne.
dans l’hebdo N° 1206 Acheter ce numéro
On ne compte plus les films bien intentionnés dont l’objectif est de dénoncer l’oppression des femmes par les hommes dans l’islam, enfonçant avec vigueur des portes déjà largement ouvertes. La plupart naviguent entre naïve bonne conscience et semi-roublardise, et leurs auteurs oublient trop souvent que dénonciation et cinéma vont rarement bien ensemble. Une seconde femme n’a heureusement pas cette vocation, même s’il semble d’abord en prendre le chemin. Une jeune fille, Ayse (Begüm Akkaya), est mariée dans son village à un émigré, et la voilà intégrant une famille turque vivant à Vienne. On découvre, de surcroît, que c’est au père du jeune homme qu’elle est en réalité unie, devenant ainsi sa « seconde femme ».
Si Umut Dag, réalisateur autrichien d’origine kurde, qui fut l’élève de Michael Haneke, parle de ce qu’il connaît de près, il a fait des choix de cinéma qui donnent à son film un cadre narratif et stylistique bienvenu. Principale option, essentielle : les hommes s’y avèrent discrets. Même les scènes où le père « honore » sa seconde femme sont traitées par ellipse ou hors champ, alors que la caméra s’attarde sur la première épouse, Fatma (Nihal G. Koldas), seule dans son lit, satisfaite de ce qui se déroule puisqu’elle-même l’a voulu. Pas de violence masculine, donc, une relative absence, et même une douceur de leur part, à l’opposé des clichés. Ayse est avant tout introduite dans un gynécée. Si Fatma, la mère, montre d’emblée de l’affection pour cette jeune fille dont elle a souhaité la présence, d’autant qu’elle se sait gravement malade, les filles, elles, ne sont pas accueillantes. On est là au centre de ce que montre Une seconde femme. Par leur attachement aux traditions, dans l’intérêt même (ou tel qu’elles le perçoivent) de leur situation, bousculée par cette intrusion, les femmes peuvent être des agents de perpétuation de l’aliénation.
Mais pas de démonstration ici ni de personnages prisonniers de leurs déterminismes. Au fil du récit et des événements, ceux-ci évoluent. Ainsi, les forces répressives fluctuent autour d’Ayse. Les femmes, mère et filles, changent de comportement envers elle, qui d’ailleurs ne cherche pas particulièrement à transgresser. Mais ses émotions et ses élans peuvent entrer en contradiction avec les représentations admises.
Autre choix décisif : le film se déroule dans un lieu quasi unique, l’appartement familial. Rien de Vienne n’est vu, sinon une moitié de rue et, surtout, un supermarché (de produits turcs) où Ayse se fait embaucher. C’est la seule échappée topographique, c’est aussi là qu’Ayse connaît des moments de liberté, grâce à un garçon dont elle tombe amoureuse. La société de consommation versus les structures familiales archaïques ? Ou le travail comme mode de désaliénation des femmes ? Il n’est pas certain qu’il faille alourdir de symboles signifiants ce premier film dont il convient précisément de louer la subtilité, malgré quelques maladresses bénignes. Où l’appartement étouffoir est aussi un lieu de solidarité et d’affection. Où le recours à la langue du pays de l’exil, par des immigrés, peut être un moyen d’exclusion d’un des leurs qui l’ignore. Une seconde femme, par sa juste complexité, entame la mauvaise réputation du cinéma autrichien. Une bonne nouvelle !