Faut-il supprimer le défilé du 14 Juillet ?

Eva Joly avait fait scandale en critiquant le défilé du 14 juillet. Selon Éric Coquerel, il n’exalte pas le pouvoir militaire mais montre une armée qui rend hommage à la nation. Pour Jean-Philippe Magnen, il devrait s’ouvrir à d’autres citoyens, aux côtés des militaires.

Olivier Doubre  • 12 juillet 2012 abonné·es

Illustration - Faut-il supprimer le défilé du 14 Juillet ?

Je tiens d’abord à dire que ce sujet ne doit pas diviser la gauche, et qu’il ne mérite pas les opprobres xénophobes jetés par la droite à l’encontre d’Eva Joly l’an dernier. Les deux avis à gauche peuvent s’entendre, à condition que l’on ne remette pas en cause les célébrations du 14 Juillet. Celle-ci est une fête à laquelle nous tenons car il n’est pas si commun que la fête nationale d’un pays soit celle d’une révolution. Quant à la question du défilé militaire proprement dit, on sait qu’il existe depuis 1880, c’est-à-dire au moment du retour de la République et l’année où « la Marseillaise » est devenue hymne national. Il s’inscrivait alors incontestablement en partie dans le côté « revanchard » de l’époque, après la défaite de 1870, avec en toile de fond la volonté de reconquérir l’Alsace et la Lorraine. Il ne faut pas nier cet aspect-là, mais il y en avait un autre : celui de la nation en armes au service de la république naissante, célébrée à travers ce défilé. Aujourd’hui, évidemment, beaucoup de choses ont changé. On peut le regretter, mais nous n’avons plus une armée de conscrits, elle est composée de professionnels, ce qui change beaucoup son rapport à la nation, et la réciproque est vraie. En ce début du mois de juillet, où le Venezuela célèbre l’anniversaire de son indépendance, les slogans du défilé militaire sont : « Nous sommes socialistes et anti-impérialistes. » Ce n’est donc pas le défilé militaire lui-même qui est en question mais le symbole politique qu’on lui donne.

Le défilé du 14 Juillet est donc à juger en regard du message que l’on envoie à travers lui à l’extérieur. Selon le choix de ceux qui défilent et de leurs armes, on peut choisir de mettre en avant l’armée comme force de paix, de coopération entre les peuples, d’interposition, de défense ou bien, à l’inverse, d’agression ou de soutien à des conflits impérialistes. En ce sens, le défilé militaire du 14 Juillet reflète le moment politique que vit le pays et le rôle qu’il entend jouer vis-à-vis du monde. Ce n’est pas si mal de voir, ce jour-là, ce qui représente la violence publique apparaître domestiquée par le pouvoir civil. Car, à cette occasion, ce sont les militaires qui défilent devant les élus de la République. Ce défilé n’exalte donc pas a priori un pouvoir militaire mais montre plutôt une armée qui rend hommage à la nation et à sa fête nationale qu’est la révolution.

Pour toutes ces raisons, je ne suis pas enclin à supprimer ce défilé. En revanche, cela n’empêche pas que des manifestations mettent en avant d’autres valeurs de la République. Eva Joly avait évoqué des défilés citoyens. Pourquoi pas ? Pour ma part, je tiens beaucoup au bal du 14 Juillet et plus largement à tout ce qui souligne le caractère populaire de notre révolution. Par ailleurs, il faut se souvenir que le seul moment où le défilé a été supprimé, c’est pendant l’Occupation. Et aussi que, pendant longtemps, le défilé partait de la place de la Bastille : c’est peut-être un élément avec lequel il faudrait renouer… Ce défilé est donc aussi un moyen pour la République d’affirmer son contrôle sur le fait militaire. On peut rêver d’un défilé qui renouerait avec la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, quand les citoyens sous les armes criaient : « Vive la prise de la Bastille ! » Il faudra peut-être attendre la VIe République pour cela…

Illustration - Faut-il supprimer le défilé du 14 Juillet ?

À EELV, nous voulons juste rappeler ce qu’est la fête du 14 Juillet : avant tout une manifestation populaire qui renvoie aux valeurs de la Révolution française et aux valeurs républicaines « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ce que nous critiquons, c’est le glissement de cette fête populaire vers une manifestation exclusivement militaire, alors qu’elle devrait consacrer l’honneur des valeurs de la République. Surtout quand, sous la présidence Sarkozy, y étaient invités des chefs d’État africains, dans la pire tradition de la « Françafrique ». Aussi, quand Eva Joly a déclaré l’an dernier « rêver » de voir ce défilé se transformer en défilé citoyen, elle ne manifestait pas une opposition aux militaires, qui pourraient tout à fait y participer : ils y auraient leur place comme ils ont leur place dans la République.

Dire cela n’est pas aller à l’encontre de la culture française ou d’un esprit patriotique, comme cela a été reproché à Eva Joly. Je me sens tout à fait patriote, et il n’est pas question de remettre en cause le patriotisme. Aujourd’hui, selon nous, le 14 Juillet est à la fois un défilé et une fête citoyenne, avec les bals et les feux d’artifice qui ont lieu généralement le 13 juillet au soir. Mais le défilé militaire a pris une place démesurée. Pour nous, les militaires pourraient avoir une place tout autre dans ces célébrations : la place qui leur revient, mais pas toute la place. À EELV, nous sommes non-violents, mais pas antimilitaristes. D’ailleurs, nos parlementaires ont voté, à propos de certains conflits comme en Bosnie il y a quelques années, ou en Libye plus récemment, en faveur de la participation de la France à des interventions armées sous l’égide de l’ONU.

La question n’est donc pas là, même si nous avons nos propres positions sur des questions afférentes aux forces armées et à la place de la Défense dans notre pays, notamment sur le maintien ou non de la dissuasion nucléaire, sur les crédits ou la reconversion de l’industrie de l’armement. Nous avons des divergences sur la question militaire, y compris avec nos partenaires dans la majorité aujourd’hui.

Ce que nous voudrions faire comprendre, c’est qu’il y a déjà beaucoup de fêtes et de célébrations (que nous ne dénonçons pas) d’événements, de guerres, qui ont déchiré l’Europe, en premier lieu les armistices du 11 Novembre et du 8 Mai. Dans ce cas, faire un défilé militaire a du sens, ne serait-ce que pour célébrer les anciens combattants et les morts de ces guerres. Mais on fait l’amalgame avec le 14 Juillet, qui est avant tout, dans notre histoire, une fête citoyenne. L’esprit patriote n’a pas uniquement à voir avec les guerres et les anciens combattants ; la Révolution française et le 14 Juillet ont mis en avant la République et un certain nombre de valeurs.

Nous nous contentons de rappeler cela et de dire que nous souhaiterions que la place du défilé militaire soit moindre. Et nous « rêvons », comme l’a dit Eva Joly, de voir un défilé citoyen dans lequel il y aurait des militaires, mais pas exclusivement. Ce n’est pas immuable et on peut changer les choses dans la société française. Le 14 Juillet doit être un moment de fraternité, qui n’est pas à célébrer uniquement par un défilé militaire. Car c’est d’abord la célébration de la prise de la Bastille par le peuple de Paris.

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