La mondialisation du ballon rond ne connaît pas la crise

Stéphan Beaucher  • 12 juillet 2012 abonné·es

Si on m’avait dit qu’un jour j’irais traîner ma souris sur un site de foot… Tout a commencé par un titre entrevu à la sauvette sur le journal posé sur les genoux de mon voisin de métro : « Les transferts ont brassé 3 milliards de dollars en 2011 ». Alors, quitte à fouiner sur le web, autant visiter la maison mère ; et c’est comme ça que je me suis retrouvé sur le site de la Fifa, Fédération internationale des associations de football. « Associations » : ça vous a tout de suite un air de patronage alors que la Fifa est une multinationale minée par les accusations de trafic d’influence et de corruption. Toujours est-il que la Fifa, afin d’ « améliorer l’intégrité et la transparence du marché et d’appliquer [s]a réglementation en matière de protection des mineurs » (sic), a mis en place un système d’enregistrement des transferts.

Qu’apprend-on en se promenant dans le rapport qu’elle a publié sur la question ? L’an dernier, 11 500 footballeurs, soit une trentaine par jour, ont changé de job (on est content pour eux). Ces transferts ont généré un business de 3 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros), dont 100 millions d’euros de commissions versées à des intermédiaires désignés sous le terme « agents » (ça fait plus classieux).

Deux milliards et demi d’euros…* *Cela peut faire rêver (pas moi), mais cela peut aussi donner le vertige (c’est mon cas). Mon truc à moi, ce sont les politiques de gestion de la pêche. C’est pourquoi ça a fait tilt instantanément : 2,5 milliards d’euros, c’est le montant que l’Europe a mis sur la table depuis vingt ans pour mettre à la casse des milliers de bateaux dans l’intention louable de réduire la surcapacité. En vain : nous avons toujours trop de force de frappe sur les zones de pêche, et les stocks sont globalement prêts à basculer dans le rouge quand ils n’y sont pas déjà.

2,5 milliards, c’est pile le montant sur cinq ans des 60 000 postes de profs que Hollande créera peut-être si un membre suffisamment influent de son entourage lui rappelle qu’il a été le candidat d’un parti qui se dit de gauche. C’est aussi une quinzaine d’années de salaire des 3 000 Rased, ces pompiers de l’Éducation nationale, que Sarkozy a voulu passer à la trappe pour raisons d’économies (après avoir déjà « allégé » l’Éducation nationale de 80 000 postes).

2,5 milliards d’euros, c’est 10 milliards de vaccins contre la rougeole, une bricole ici, un fléau dans les pays du Sud. C’est plus que le produit intérieur brut des trente pays les plus pauvres de la planète, dont la République centrafricaine, le Liberia, le Bhoutan, les Seychelles, le Vanuatu et le Timor oriental. Ramené à l’individu, 2,5 milliards d’euros pour 11 500 footballeurs, ça nous fait une moyenne de 950 000 euros par tête. C’est 10 fois le PIB par habitant du Luxembourg, le « pays » le plus riche du monde selon cet indicateur, au coude à coude avec le Qatar. C’est aussi 1 000 fois plus que les miettes que se partagent les habitants des 50 pays les plus pauvres. Autant un million d’euros par tête, c’est beaucoup, simplement pour aller faire son boulot ailleurs, autant il est certain que 1 000 euros par an et par personne, c’est au-delà de la précarité, à la limite de la survie…

Naïvement, je me suis pris à rêver que les patrons des clubs de foot pourraient peut-être mettre la main à la poche et redistribuer une partie de cette manne indécente. Quoi ? Ça aurait de la gueule ! Les gros bonnets de l’autre opium du peuple créant un fonds d’intervention pour des causes légitimes et donc forcément plus nobles qu’une simple signature jetée négligemment au bas d’un contrat. Une fois encore, le principe de réalité est venu me tapoter l’épaule. Hollande a promis qu’il mettrait en place une nouvelle tranche d’imposition pour les personnes gagnant plus d’un million d’euros par an. À l’époque, la réaction la plus véhémente que j’ai entendue (plus encore que celle des seconds couteaux de Sarkozy) fut l’œuvre du président de la Ligue de football professionnel, qui a prédit la fuite des mollets et la « ringardisation à court terme du football français » (sic). La planète footballistique ne m’a jamais ni inspiré ni fait vibrer, je sais maintenant pourquoi.

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