Notre-Dame-des-Landes : les turbulences s’amplifient
La pression monte contre les opposants au projet d’aéroport, qui refusent de quitter le site et tentent encore de faire appel à la loi.
dans l’hebdo N° 1212 Acheter ce numéro
Marie Jarnoux a préparé un texte, qu’elle prononce comme un serment irréductible. « On nous harcèle au téléphone, les huissiers débarquent, Vinci nous presse de quitter les lieux, les forces de l’ordre ont militarisé la zone : nos ennemis savent que, si nous partons, ils auront partie gagnée ! » Marie Jarnoux fait partie de ces centaines de personnes venues réaffirmer leur résistance au moloch, habitants des communes dont le territoire est promis à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le concessionnaire Aéroports du Grand-Ouest (AGO), détenu à 85 % par la société Vinci, a obtenu l’autorisation d’exproprier quelque 1 650 hectares de terres agricoles, de bocage et de zones humides, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Nantes. Le public gronde. Ils étaient près de 3 000, dimanche 8 juillet, au rendez-vous du 2e Forum des grands projets inutiles et imposés (voir encadré), qui s’est tenu dans un champ à proximité du site du futur aéroport.
Les procédures vont bon train : les expropriations foncières sont pratiquement achevées, et même en cours pour les habitations. « C’est une tension permanente, nous ne vivons plus chez nous : nos terres, nos maisons, nos chambres à coucher se trouvent aujourd’hui sous juridiction “AGO”, poursuit Dominique Fresneau, coprésident de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa) ^2, qui revendique 3 400 membres. Le juge d’expropriation circule pour estimer la valeur des biens qui seront à vendre. Tout doit être bouclé pour fin 2012. » Mais plus de la moitié des exploitants sont du côté des opposants et refusent de négocier avec le concessionnaire, souligne-t-il.
En septembre 2011, l’association Cédpa, qui rassemble 1 100 élus opposants de tous horizons, brandit une pièce à conviction : l’analyse commandée au cabinet néerlandais spécialisé CE Delft. Réputé pour son indépendance, il a débusqué d’importantes erreurs dans l’argumentaire économique des promoteurs. Le bénéfice du projet de Notre-Dame-des-Landes, après correction, serait divisé par trois. Conclusion : il prépare « un appauvrissement pour la collectivité » comparé à une optimisation de l’actuel aéroport Nantes-Atlantique. « Mais… rien ! Pas une réaction, pas un démenti, c’est comme si la contestation n’existait pas ! », s’élève Michel Tarin, pilier de la résistance paysanne.
En février dernier, le mouvement s’accélère. Une ordonnance d’expropriation, prévoyant d’avoir expulsé tous les récalcitrants avant fin 2012, met le feu aux poudres. Quelques militants décident de lancer une grève de la faim avant le premier tour de la présidentielle, dont Michel Tarin, qui tiendra vingt-huit jours. Ils ont vu juste : l’affaire remonte jusqu’à l’équipe de campagne de François Hollande, menaçant le favori d’une bombe à retardement médiatique. Car le maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, pressenti pour devenir Premier ministre, est aussi le soutien politique le plus acharné de l’aéroport…
François Hollande exigera un signe d’apaisement. Le 8 mai, le PS de Loire-Atlantique signe un accord par lequel les expulsions sont suspendues tant que les recours judiciaires ne sont pas épuisés. Une dizaine, dont la saisine du Conseil d’État contestant « l’utilité publique » du projet – demande rejetée et aujourd’hui devant la Cour européenne des droits de l’homme –, ou les litiges sur les procédures d’expropriation portées devant le tribunal administratif de Nantes. L’accord établissait aussi une commission « de dialogue », qui s’est déjà réunie à deux reprises. Une accalmie ? « Au contraire, les promoteurs du projet accentuent la pression et montrent toutes les dispositions à vouloir passer en force. La voilà, la conception gouvernementale du “ changement maintenant” ! », réagit Michel Tarin. Ainsi, le Conseil d’État a statué en accéléré sur la régularité de l’octroi de la concession de Notre-Dame-des-Landes. Réponse datant de vendredi dernier : requête rejetée.
La même semaine, devait être jugée la demande d’expulsion d’une famille installée au lieu-dit Limimbout. « AGO considère qu’il s’agit d’une occupation illégale, non couverte par l’accord sur le gel des expulsions, explique Michel Tarin. Ce sont les rois des coups tordus, nous n’avons jamais eu confiance en eux… » La famille, de son côté, affirme payer régulièrement un loyer. L’examen a finalement été reporté à septembre, à la demande d’AGO. « Ils ont probablement jugé périlleux de provoquer les milliers de militants rassemblés pour le forum », estime Dominique Fresneau. L’échauffourée du 21 juin soulève une indignation encore plus forte. Cette date marquait l’ouverture, entre autres, de deux enquêtes publiques exigées par la loi sur l’eau, et dont les opposants dénoncent la précipitation suspecte : elles se dérouleront pendant l’été, pour s’achever le 7 août. Des paysans bloquent l’accès à la mairie de Notre-Dame-des-Landes, les gardes mobiles chargent, molestent, endommagent un tracteur et gazent son conducteur, Sylvain Fresneau, président de l’Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca), qui doit être présenté fin août à la justice.
À Notre-Dame des Landes, on a appris à soupeser la parole des politiques. Et certains écologistes, comme Cécile Duflot, copieusement sifflée, sont aujourd’hui placés dans le même panier que les socialistes : la ministre du Logement était venue affirmer avec force l’an dernier que son parti EELV ne signerait d’accord avec le PS qu’à la condition que l’aéroport soit abandonné. Sur le site, on se prépare à des affrontements plus durs. Les « nouveaux résistants » organisent déjà la contre-attaque qui lancerait la réoccupation des lieux en cas d’opération pour vider la zone. « S’ils expulsent, on revient ! »
[^2]: acipa.free.fr/